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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

vons revendiquer l’honneur des tentatives de Joseph II, car ce prince agissait sous l’inspiration des idées françaises[1].

Comme tous les novateurs, n’ayant pas pour se guider l’expérience d’autrui, Joseph II commit des fautes. Son esprit se tenait trop en avant de ses contemporains. Chez le penseur qui observe et médite, c’est une perspicacité glorieuse ; chez un roi qui a charge d’ames et de corps, c’est une dangereuse précipitation. Le prince qui veut rendre ses sujets heureux, au lieu de se jeter à l’avant-garde parmi les tirailleurs et les pionniers, doit peu s’écarter du gros de l’armée. Persuadé qu’un changement était indispensable dans la situation intérieure des peuples, et qu’ils devaient cesser d’être parqués en castes distinctes, Joseph II, d’autorité, remania dans un sens libéral les lois de son empire ; mais il ne vit pas que le génie propre de ses peuples était particulièrement antipathique aux changemens brusques et aux déchiremens. Il ne comprit pas assez qu’en eux il fallait ménager la foi, le plus précieux trésor d’une nation. Il ne sentit pas qu’en heurtant les idées religieuses, il ébranlait le plus ferme boulevard des trônes. En France, où les croyances étaient battues en brèche, où le caractère national est ardent, prompt à s’exalter, impatient à l’excès, un roi tel que Joseph II aurait excité au début un débordement d’enthousiasme : j’ignore cependant ce qui se serait passé au dénouement. Chez des peuples d’un tempérament essentiellement doux et bon, opposé à la précipitation, il fallait un guide plus temporiseur, même en temps de rénovation politique et sociale.

Joseph II, pourtant, a bien mérité des rois et des peuples. Chez nous, à l’époque où Joseph II, averti par un généreux instinct de l’orage qui s’amassait, opérait des réformes, une cour frappée de vertige, méconnaissant les plus belles traditions de la monarchie française et l’immuable tendance de la troisième race de nos rois à affranchir le tiers-état, s’évertuait à restaurer les prétentions les plus surannées. Turgot, qui voulait sauver la monarchie en adoptant, sauf amendement, la méthode de Joseph II, était disgracié. Dans un accès de démence, on réglait l’avenir en ordonnant que tous les grades de l’armée et tous les bénéfices ecclésiastiques fussent réservés aux privilégiés. L’avenir ! il devait échapper à la royauté, du mo-

  1. Sur une moindre échelle, M. de Hardenberg, qui depuis s’est signalé en qualité de premier ministre de Prusse, fit un peu plus tard, dans le gouvernement de la Franconie, des réformes libérales semblables à celles de Joseph II. Il y mit plus de mesure et de prudence, et il eut plus de succès. Il agissait pareillement sous l’influence des idées françaises.