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En fait de bouleversemens et de reviremens brusques, aujourd’hui rien ne doit être jugé impossible. Les hommes de notre époque ont vu Louis XVI solidement affermi sur le trône après la paix de Paris, qui consacra l’indépendance des États-Unis, et huit années plus tard ils l’ont revu gravissant les degrés de l’horrible machine de Guillotin. Ils étaient à l’Opéra lorsque Marie-Antoinette, y paraissant pour la première fois, excita une admiration plus forte encore que le respect, et fut accueillie par l’explosion, impossible à étouffer, des hommages d’une foule éblouie de tant de grace et de majesté ; puis ils l’ont rencontrée, les mains liées derrière le dos, dans un tombereau ignominieux, traînée à une affreuse mort, aux huées d’une multitude ivre de sang. Ils ont assisté aux grandes revues par lesquelles le César moderne, à l’apogée de la puissance et de la gloire, préludait à la campagne de Russie ; dix-huit mois ensuite ils étaient les témoins des adieux de Fontainebleau, et, après un autre intervalle de dix-huit mois, ils entendaient, de Sainte-Hélène, le lion qui rugissait dans les tortures. Ils étaient encore assourdis des acclamations dont fut salué Charles X en Alsace, quand ils l’ont rencontré sur le chemin de Cherbourg. Il semble donc qu’en ce siècle tout renversement soit possible. Mais, si l’on y regarde bien, on reconnaîtra qu’à toutes les catastrophes que je viens d’indiquer il y avait une cause préexistante. Avant la crise, tout semblait tranquille et régulier, mais c’était un faux semblant. Ici on trouve à la fois l’être et le paraître. Dans la population bohême et dans l’esprit actuel de son gouvernement, il n’y a aucun motif latent de désordre ; il n’y a que des raisons de stabilité.

La population bohême offre les deux meilleures garanties d’ordre, l’obéissance et la foi. Un peuple qui obéit et qui croit est à l’antipode des révolutions.

Le gouvernement autrichien, dont la Bohême est l’un des plus anciens domaines, s’y montre paternel. Il y est affectueux et affectionné. Il connaît ses devoirs comme ses droits. Il a le sentiment de la direction nouvelle de la civilisation, car il travaille avec persévérance à substituer la monarchie populaire à la monarchie aristocratique. On pourrait même dire qu’il a commencé la révolution avant nous, ou plutôt que, plaçant le progrès sous sa tutèle, il l’a empêché de prendre les allures révolutionnaires. Joseph II était entré dans la carrière des réformes politiques et sociales avant qu’il en fût pratiquement question chez nous. Il est vrai que nous pou-