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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

née et sans secousses qui dans son ensemble n’est point sans grandeur, car il y a même un caractère de majesté dans toute masse considérable qui se déploie avec régularité. Pour chacun en particulier, c’est une vie modestement heureuse, où, autant qu’il est donné à notre nature, il y a équilibre entre les jouissances et les désirs. Ce n’est pas le repos du cachot ni celui du cloître ; c’est un mouvement continu, exempt de soucis, celui de l’homme qui voit un but devant lui et qui y chemine, sans que le sol tremble sous ses pas, sans qu’au dessus de sa tête la tempête gronde.

La Bohême est aussi un pays riche, le sol y est fertile. C’est une des contrées, comme la France, heureusement situées dans une latitude moyenne, qui produisent à peu près tout ce que réclament les besoins de l’homme, parce qu’elles touchent à la fois, au nord et au midi. Elle récolte du vin qu’on vante, quoique le cru de Melnik ne soit pas propre à faire oublier les nôtres. Grace à la betterave, elle produit du sucre aussi bien que les Antilles. Les entrailles de la terre y recèlent des richesses incomparables. La Bohême est adossée aux montagnes appelées l’Erzgebirge, parce qu’elles sont métallifères par excellence. C’est au milieu de l’Erzgebirge qu’est le classique Freiberg, où tout ingénieur de mines doit faire un pèlerinage, comme autrefois tout bachelier espagnol à Salamanque. On y trouve le fer et le plomb, le cuivre et l’étain, l’argent lui-même. Les mines d’argent de Joachimsthal, à deux pas de Carlsbad, ont une grande renommée ; bien des millions en ont été retirés. C’est le nom de Joachimsthal qui a fait celui de thaler, adopté aujourd’hui encore pour l’unité monétaire en Prusse, et, par corruption, celui de dollar, quoique, il faut le dire, si le mot dollar vient de Joachimsthal, il ne sera plus permis de rire avec le poète de ceux qui veulent qu’alfala vienne d’equus. La Bohême possède en abondance des mines de houille qui valent ou vaudront, quand on en tirera parti, mieux que des mines d’or. Ces trésors de la surface et du fond sont presque tous exploités avec un succès croissant. Une personne parfaitement digne de confiance m’a affirmé qu’il n’y avait pas de pays en Europe qui, matériellement, eût fait, depuis trente ans, plus de progrès que la Bohême.

Ce caractère de quiétude qu’on retrouve dans toute la partie allemande de l’empire, les populations bohêmes et autrichiennes le conserveront-elles ? Je suis porté à répondre par l’affirmative. Les révolutions ne paraissent pas devoir venir troubler cette paisible ruche.