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QUATRE PRÊTRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Créateur dans son genre, lançant le vers et la satire avec une facilité, une fécondité et une jovialité dont le bonheur et l’audace ont peu d’exemples, les contemporains de Skelton avaient raison de le nommer l’inventeur (inventive Skelton). Il a inventé son rhythme bref, saccadé, tranchant, poignant, vigoureux. Le son des cloches carillonnant pour donner l’alarme n’a rien de plus animé que cette versification précipitée qui fait tinter dans l’oreille égayée mille burlesques souvenirs. Ce bruit confus qui s’ébranle remue dans ses fondemens la hiérarchie catholique, l’ambition et l’opulence ecclésiastiques. Il n’est pas élégant ; il le sait et il le dit. « Ma rime a des haillons, elle est boiteuse, elle est pauvre, elle est mouillée, perclue, nue, misérable ; avec tout cela, elle a sa force (some pi’the). » Certes, elle a sa force, et d’autant plus redoutable que c’est une force populaire et réelle.

Though my rhyme be ragged
Tattered and gagged,
Rudely rain-beaten
Rusty, moth-eaten,
If ye take well therewithe,
It hath in it some pi’the
.

Skelton était savant et connaissait à la fois la dure inflexibilité de cet idiome anglais que personne n’avait encore dégrossi, et l’impossibilité d’émouvoir le peuple en employant le pédantesque jargon des érudits du temps. Déterminé à produire l’effet qu’il désirait et renonçant à la gloire d’une élégance qui l’eût éloigné de son but, il se contenta de cette langue anglaise parlée dans les carrefours, et la ployant à son gré, modifiant, changeant, créant des mots, enrichissant l’idiome de nouveautés énergiques, servit les progrès de la langue. « Notre anglais actuel, dit-il quelque part, est rude et grossier ; on a peine à l’enrichir de mots polis et élégans ; son indigence répugne à la main de l’artiste, tant il a de rides, de rugosités, d’aspérités, tant il est lourd, inhabile et peu expressif. La beauté et le caractère lui manquent, et, si je voulais m’en tenir à ce qu’il m’offre, je ne saurais comment rendre ma pensée, ni quels termes prendre pour la servir :

Our natural tongue is rude,
And hard to be enneude
With polished terms lusty ;
Her language is so rusty,
So cankerd and so full
Of forwards, and so dull,