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REVUE DES DEUX MONDES.

Coccaïe, né en 1491, écrivait en 1517 au plus tôt, mérite une attention particulière. Il ouvre la marche. Il réunit en lui les caractères du grotesque Folengo, du philosophe Rabelais et du théologien Luther. Il n’a pas l’importance historique du dernier, ni la valeur littéraire de l’auteur de Pantagruel ; mais, selon la mode anglaise il est homme d’action politique, actuelle, vive, présente, incontestable, et il a raison, car il réussit.

Son influence n’est pas seulement celle d’un poète, mais celle d’un pamphlétaire triomphant. Précepteur de Henri VIII, il est, pendant presque tout le règne du roi qu’il avait élevé, et sans qu’on le sache, l’exécuteur poétique de ce singulier monarque. Toutes les fois qu’un homme ou une chose déplaisent à Henri VIII, Skelton, qui possède la facilité du vers, se faisant écho à lui-même dans une reproduction infinie de rimes grotesques, jette dans le populaire anglais une satire qui devient proverbe. La querelle du poète avec Wolsey et ses dérèglemens personnels ne changent rien à cette position singulière, et n’affaiblissent pas le penchant que le cynique théologien Henri VIII avait pour son cynique poète. « Rarement, dit un contemporain, la faveur du monarque s’éloigna de lui (seldom out of prince’s grace). » Le courtisan philosophe Érasme, qui connaissait si bien les convenances de la flatterie et les mollia fandi tempora, écrivant à Henri VIII, sur le compte de Skelton, comble d’éloges « cette lumière de la Grande-Bretagne, l’érudit Skelton, qui peut, dit-il, non-seulement stimuler les études de votre majesté, mais les compléter[1]. »

Par un malheur que plusieurs talens ont subi, le nom de cet homme, qui exerça tant d’action sur son siècle, est oublié ; ses écrits n’attirent plus l’attention de personne. La vie politique a ce malheur. En nous prêtant une influence présente et exagérée, en grossissant l’importance apparente de notre talent et de nos actes, elle nous expose à l’oubli de l’avenir. Skelton et une armée de pamphlétaires énergiques ou spirituels se sont sacrifiés à la circonstance politique, cherchant plutôt à agir sur les hommes et à décider les évènemens qu’à trouver la perfection de l’art.

Toutes les poésies de Skelton, dont nous n’avons pas une seule édition correcte et complète, sont remplies de ce mouvement révolutionnaire du XVIe siècle, rébellion contre le spiritualisme et l’église, désir terrestre, réhabilitation de la chair, réaction que j’ai signalée

  1. Érasm., Epist., 108.