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QUATRE PRÊTRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Westminster. Ce sont de véritables frères intellectuels, les grotesques fils du même mouvement européen. Seulement Rabelais et Folengo, les hommes du Midi, se moquent ; Skelton et Luther, les hommes du Nord, renversent.

L’histoire littéraire, considérée sous ce point de vue général et universel, est, comme l’a dit très bien le spirituel chancelier Bacon, l’œil de l’histoire. Une étude qui n’a pour faits constitutifs que les résultats de l’intelligence, démontre clairement quels mouvemens intellectuels, analogues ou contraires, ont entraîné les peuples d’une époque à l’autre. Elle indique quelle similitude réelle unissait des nations qui semblaient ennemies. Elle fait connaître les directions diverses imprimées à la civilisation et à la pensée. Chez les écrivains du XVe et du XVIe siècle, le mouvement réformateur éclate ou se trahit bien avant la réforme, et ce caractère s’empreint à la fois sur les œuvres intellectuelles de toute l’Europe. Le Nord surtout proteste avant le protestantisme. On est étonné de trouver, chez les poètes écossais Lindsay et Gawin Douglas, des traces nombreuses de révolte contre la cour de Rome, contre la papauté, contre le catholicisme méridional. Ils écrivent à la fin du XVe siècle, et l’insurrection de Luther n’aura lieu qu’en 1517, lorsque, placé en face du dominicain Tzetzel, Luther criera aux armes et commencera cette grande perturbation qui n’est pas encore achevée, qui a duré des siècles, dont nous sentons le contre-coup, mais qui avait sa source et son origine bien plus haut et bien plus loin.

En étudiant ainsi les annales littéraires, on reconnaît donc que l’Europe chrétienne est une, qu’il n’y a pas réellement, dans les temps modernes, de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Espagne ; qu’il n’y a qu’une Europe et un christianisme qui marchent, armée composée de divers bataillons, à la même conquête ; quelques troupes plus avancées, d’autres plus arriérées, toutes engagées dans la même route, toutes s’avançant dans le même sillon, sous des bannières différentes. Au moment où tout s’ébranle pour réhabiliter la matière, voici quatre héros bouffons qui prennent sa défense. Je les ai nommés.

Comment nierait-on le double mouvement historique de la matière contre l’ame et de l’ame contre le corps ? Ainsi luttent à jamais les deux principes antagonistes : d’un côté, l’amour, la foi, le besoin de croire ; de l’autre, la pensée, le raisonnement, l’examen. Les peuples qui procèdent dans leur vie historique comme les hommes dans leur vie éphémère, les peuples sont mus par les deux mouvemens contradictoires dont je parle : non que l’échelle des années soit