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encyclopédique, qui accumule, au sein d’un roman fantastique, les détails les plus curieux sur l’état des sciences et des arts au XVIe siècle. Ainsi les historiens de la musique trouveraient dans la « vingtième assiette de macaroni » des particularités très importantes sur la musique italienne du XVIe siècle, sur Josquin, sur ses rivaux, sur la chapelle Sixtine :

Vosque Leoninæ cantorum squadra capellæ !
...............
O Josquine, Deo gratissime, nascère mundo, etc.[1].

Mais notre moine italien a grand soin de s’arrêter au point juste où la philosophie commence. Il ne se permet que la facétie. C’est l’ivresse du parasite et son babil innocent. Toutes ses macaroniques folies, réhabilitation de la gourmandise et de l’ivresse, ne portent pas coup, ne vont pas loin, et n’exposent le moine à aucun danger.

Ainsi Skelton, né en 1469, bouffonne contre l’église et meurt en 1530 ; Folengo, né en 1491, s’arme plus timidement en faveur des plaisirs sensuels, et meurt en 1544 ; Rabelais, né en 1483, attaque avec génie le spiritualisme, et meurt en 1533 ; Luther, né en 1483, comme Rabelais, s’insurge avec un terrible et persévérant succès contre le pape et les cardinaux, et triomphe. C’est en 1512, au début du XVIe siècle, que les pamphlets rimés de Skelton remplissent l’atmosphère populaire de Londres, comme autant de flèches qui ne manquent jamais leur atteinte. En 1517, au moment où Merlin Coccaïe s’amuse et s’ébaudit, Luther prêche contre les indulgences. En Italie, le rire hébété, la poésie énervée et balbutiant un argot railleur ; en Allemagne, la révolte et la fureur goguenardes. Skelton pousse les peuples à la réforme politique, Folengo à la soumission ironique et à l’apathie voluptueuse, Rabelais au rationalisme épicurien, Luther à la réforme religieuse. Ils avaient tous les quatre l’instinct et le pressentiment de l’avenir ; plus lâche chez Folengo, plus pratique chez l’Anglais, plus spirituel et plus philosophique chez le Français, vaste, confus et héroïque chez Luther, comme il convient à un géant de combat et de révolution. Mais il ne faut pas séparer ces quatre prêtres bouffons, l’un pantagruélisant sous sa treille de Meudon ; l’autre combattant le diable, et lui jetant son écritoire à la tête tout en écrivant des farces immondes contre le pape ; le troisième macaronisant à l’abri de son monastère ; le dernier écrivant ses petits vers bouffons à l’ombre du sanctuaire de

  1. Éd. 1521, p. 196.