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QUATRE PRÊTRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

l’art et la recherche du style acquirent dans son pays de la valeur et de l’importance. Sous Élizabeth, peu d’années après la mort de Skelton, le La Harpe anglais de ce temps, Puttenham, le rejetait parmi les plus méprisables écrivassiers comme un « grossier et injurieux rimeur, ridicule dans tout ce qu’il compose, et ne pouvant charmer que l’oreille populaire[1]. » Cette séduction de la canaille, qui lui fut commune avec Rabelais, Cervantes, Molière, Swift, et d’autres génies d’une trempe spéciale, constitue précisément son mérite. Le vers de quatre et de cinq pieds, à rimes redoublées, qui va faire pâlir un Wolsey sous son dais royal, n’est pas une arme à dédaigner. En vain Meres, autre perroquet de critique littéraire, et Samuel Johnson, condamnent-ils avec la même autorité et la même injustice l’inélégance de Skelton. Il leur manque le sens historique, seul flambeau qui éclaire et fait comprendre cette singulière figure. Skelton est un symbole : fils politique, organe et instrument d’une révolution, il a immolé ses titres de poète à ses desseins et à sa haine. Ses contemporains ne s’y trompaient pas ; après trois siècles, justice doit lui être rendue.

Il y a dans Skelton deux traits profondément marqués : la révolte contre le clergé d’une part, et d’une autre le retour au sensualisme. Prêtre et long-temps soumis au joug du spiritualisme chrétien, il s’arme contre les vices hypocrites de ses confrères, et fait valoir les droits du corps, le bien-vivre, le bien-être, le bien-manger, le bien-boire, l’amour des sens, la beauté physique. Mais voici une particularité aussi curieuse que peu remarquée. Ce fils de l’église, apprenti apostat du spiritualisme, n’est pas le seul prêtre en Europe qui, à la même époque, batte sa mère et renie sa doctrine. Il y a un Skelton en France, un autre en Italie, un autre en Allemagne, tous sous des couleurs et des costumes différens, tous quatre renégats, jeunes, ardens, violens et sincères ; les annales littéraires se souviennent d’eux ; la politique et l’histoire portent encore la trace brillante du plus grand et du plus sérieux de ces hommes.

Si je réunis ces quatre noms dans une seule phrase, le rapprochement de leurs contrastes étonnera le lecteur. Si j’explique leurs irrécusables analogies, la simultanéité du mouvement universel qui les a emportés vers le même but étonnera le penseur.

Ce sont Rabelais en France, Merlin Coccaïe en Italie, Jean Skelton

  1. « A rude rayling rhymer and all his doings ridiculous, — pleasing only the popular ear. » (Puttenham, Art of Poetry.)