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rience a été véritablement faite, et qu’elle est concluante ? S’il cite des faits, on lui prouvera avec une étonnante facilité, que ces faits sont mal déterminés, variables, sujets à interprétations multiples et diverses, contradictoires, étrangers à la question, insignifians, en somme inconcluans, et par conséquent nuls et non avenus. Si, sortant du terrain de la pure observation empirique, où il est déjà si mal à l’aise, il s’adresse à la théorie, il tombe dans un abîme de difficultés et d’invraisemblances. Quelque notion qu’il se fasse de l’état morbide de l’estomac appelé gastrite, il lui est tout-à-fait interdit d’établir un lien de causalité, je ne dis pas évident, mais même plausible, entre la saignée locale exécutée sur l’épigastre et la modification interne que cette opération est censée produire dans l’estomac même. Le seul but appréciable de cette pratique est en effet de dégorger la surface intérieure de l’estomac, d’en soutirer l’excès de sang dont on la suppose pénétrée, et dont l’accumulation anormale dans son tissu est, selon les idées reçues, un des élémens principaux de l’état inflammatoire. Mais comment prouvera-t-il que le moyen est ici approprié au but ? Ces deux surfaces, la saine et la malade, sont complètement séparées, non-seulement par d’épais tissus, mais même par des espaces vides ; leurs vaisseaux capillaires sanguins sont tout-à-fait indépendans. Comment dès-lors supposer qu’en dégorgeant l’une, on dégorgera l’autre ? Ce résultat, loin d’être évident, n’est pas même probable, et dans l’état actuel des connaissances anatomiques il est incompréhensible. La théorie ne justifie donc en aucune façon la pratique. Si on se rejette sur l’efficacité de la perte de sang, considérée comme une simple saignée, on change la question, et on en pose une nouvelle, non moins problématique peut-être, celle de l’influence des émissions sanguines. Si enfin on se réduit modestement à donner pour raison de cette médication l’irritation révulsive produite par les morsures des sangsues, on aura à prouver d’abord la vérité de la théorie de la révulsion en général, ce qui ne sera pas aisé, et il faudra ensuite, dans le cas particulier de la gastrite, montrer que la puissance de la cause est proportionnée à l’effet à produire.

La croyance moderne à l’efficacité des sangsues dans la gastrite n’a, on le voit, au fond, pas plus de valeur scientifique que la croyance ancienne à l’efficacité des serpens pour la lèpre. Elle est intrinsèquement frappée des mêmes vices logiques. Cependant elle est, comme son aînée, acceptée à titre de vérité scientifiquement acquise et scientifiquement démontrée ; elle fait partie intégrante de la doc-