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tifié par les médecins et professeurs de Rome : on citait les noms, les lieux, les personnes ; on racontait comment cette découverte avait été faite par hasard par un lépreux qui, s’étant égaré, et surpris par la pluie, s’était réfugié dans la caverne à moitié nu, et s’y était endormi ; qu’à son réveil il fut saisi d’horreur en se voyant couvert de serpens, et s’enfuit précipitamment, mais qu’il s’aperçut bientôt qu’il était guéri. Le fait ayant été divulgué, d’autres malades allèrent alors se livrer aux bienfaisantes caresses des serpens, et revinrent guéris comme le premier. Ainsi, historiquement, le fait n’avait rien de fabuleux ni de suspect. Quant à la propriété curative des attouchemens des serpens, il n’y avait rien qui répugnât aux idées médicales de ce siècle. Ce n’était qu’un exemple de plus des cures opérées per translationem ou transplantationem, les serpens se chargeant des principes morbides exhalés sur la peau du malade, de même que des chiens couchés avec un goutteux prenaient la goutte à leur compte. La possibilité de cette transplantation et son mécanisme n’offraient pas plus de difficultés. Les esprits vitaux ou autres effluves subtiles et éthérées, attirés ou repoussés par des mouvemens occultes de sympathie ou d’antipathie, offraient immédiatement une explication très sortable. L’existence de ces esprits était mise elle-même hors de contestation ; car ce n’est que par eux qu’on pouvait se rendre compte des innombrables faits d’actions à distance et de mouvemens invisibles offerts par la nature, et dont on donnait surtout pour exemple les phénomènes de l’aimant. Ces esprits étaient alors des espèces de factotums dans la science, comme les esprits familiers dans les ménages. La race n’en est pas éteinte, et leurs enfans s’appellent aujourd’hui des fluides.

On voit donc que la médication par les serpens était rationnelle, comme on parle à présent. Cette opinion n’était pas raisonnable, au sens absolu, mais parfaitement raisonnée. Fondée sur des expériences, plausiblement expliquée, conséquente dans toutes ses parties, elle était revêtue d’une forme logique régulière. Son admission n’était pas le résultat d’une crédulité aveugle et passive, mais le produit d’une conviction acquise dans un but et par une méthode scientifiques. Cependant, dit-on, la méthode était fautive, les théories fantastiques, les expériences illusoires ! sans doute ; mais il ne s’agit pas de cela. Nous ne voulons constater ici autre chose sinon que cette opinion réunissait en sa faveur tout ce que la critique scientifique du temps exigeait pour qu’un dogme médical quelconque fût reconnu vrai, certain et fondé en raison.