Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/698

Cette page a été validée par deux contributeurs.
688
REVUE DES DEUX MONDES.

refusés au raisonnement. Dans quel temps cela se passe-t-il ? Dans le XIVe, dans ce XVe siècle, c’est-à-dire quand la philosophie se cherche encore dans les chaînes aujourd’hui trop vantées de la scolastique. On voit assez, sans que j’en dise davantage, que dans la nuit du moyen-âge la poésie italienne est véritablement l’étoile du matin, la première avant-courrière des innovations du génie moderne.

Mais, direz-vous, où donc est dans l’art, en Italie, l’expression fidèle, exclusive de la papauté ? Je viens de répondre à cette question. Cette expression fidèle, exclusive, rayonne dans la peinture, dans la sculpture, dans ces arts muets qui sont là non pas seulement le commentaire, mais le complément nécessaire de la poésie. Cette épopée véritablement catholique, orthodoxe, à laquelle vous ne ramènerez jamais, quoi que vous fassiez, le génie trop indépendant, trop séculier de Dante, cette épopée soumise, mêlée d’encens, je la trouve écrite non pas sur le papier, mais sur les fresques, sur les murailles des églises de Florence, de Venise, d’Assise, de Rome et du Vatican. C’est là que depuis la crèche de Bethléem et la prison de saint Pierre jusqu’aux splendeurs de Léon X, c’est là que chaque moment, chaque époque, chaque type du christianisme et du sacerdoce est représenté dans un monument particulier, comme dans un épisode ; et ce grand poème se déroule depuis les Alpes jusqu’à la mer de Sicile. Au-dessus de ces œuvres s’élève le Christ de Michel-Ange en qui revit l’ame de Grégoire VII ; il jette l’anathème. Mais les vierges de Raphaël, images de l’église, suppliantes, intercèdent ; elles apaisent la colère divine, elles ramènent le sourire dans le ciel chrétien ; c’est ainsi que s’achève le poème muet de la peinture italienne.

Si de l’Italie je passe à l’Espagne, et si je cherche quel a été là l’accent fondamental, le ton dominant du génie national, je trouve le chant populaire, la complainte héroïque, la romance féodale, poème d’un peuple gentilhomme. Dans la lutte de l’islamisme et du christianisme, chaque homme est devenu le chevalier du Christ ; le serf s’est anobli sous la croix ; comme il a reçu une valeur dans l’état, et qu’il en a la conscience, il a aussi une poésie qui lui appartient et qu’il se chante à lui-même. Dans les rumeurs des villes, des campagnes, se forment ces ébauches incultes, germes de poésie qui seront plus tard le fond de la littérature espagnole. Plus un peuple, dans ses origines, crée de ces germes d’art, plus aussi sa littérature est véritablement, naturellement riche ; car c’est par l’épuisement des sujets que se marque l’épuisement du génie national. C’est aussi par cette cause que s’explique la fécondité d’un Lope de Vega, d’un Calderon. Ils n’avaient pas besoin de chercher au loin leurs sujets ; ils recueillaient de la bouche du peuple ces légendes harmonieuses auxquelles ils donnaient droit de bourgeoisie dans l’art. La littérature espagnole est un anoblissement perpétuel des inventions de la foule par l’autorité d’un poète cultivé. À quelque époque que ce soit, toujours vous entendez l’écho de ces chants populaires qui rappellent à l’Espagne son génie natif, et marquent aux imaginations savantes la voie frayée par la nature.