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COLLÉGE DE FRANCE.

M. Edgar Quinet vient d’ouvrir avec un plein succès son cours sur les littératures méridionales au collége de France. Nous reproduisons ici sa première leçon. Dans le cours qu’il fera cette année, M. Quinet traitera des littératures méridionales considérées dans leurs caractères généraux et dans leurs rapports avec la civilisation moderne. Le discours qu’on va lire, et où le professeur expose les idées qui serviront de base à son enseignement, a été fréquemment interrompu par les applaudissemens d’un nombreux auditoire.

Messieurs,

Ce n’est pas assurément (et je ne prétends pas m’en défendre), ce n’est pas sans quelque émotion que j’entre dans cette chaire, où m’appelle la bienveillance de l’illustre écrivain dont le nom et les souvenirs sont si vivans dans vos esprits ; bienveillance qui m’impose des devoirs d’autant plus grands que, n’ayant rien pu faire pour la provoquer, j’ai fait très peu pour la mériter. Où prendrai-je la force nécessaire pour suffire à une tâche dont une rapide expérience ne m’a encore montré que les difficultés ? Je chercherai cette force dans l’importance même de mon sujet, dans les monumens nombreux et éclatans sur lesquels je devrai m’appuyer, et surtout en vous-mêmes, dans la foi que j’ai en votre zèle désintéressé pour les œuvres de la pensée. Si par hasard il arrivait que quelques-uns d’entre vous ne vinssent chercher ici qu’un plaisir de l’oreille, ils seraient bientôt trompés. Si d’autres ne voulaient que juger, en passant, d’un discours et d’un homme sur un mot bien ou mal cadencé, quel lien pourrait s’établir entre nous ? Évidemment aucun. Oublions donc tous ensemble pour toujours, dès le commencement, celui qui parle ici, et ne songeons en commun qu’à l’objet de ce cours.

Je veux montrer d’abord comment le titre et les attributions spéciales de cette chaire reposent sur la nature même des choses, et peu de mots doivent suffire pour cela ; car, en considérant le passé avec un peu d’attention, on voit bientôt qu’il se partage en trois sociétés principales : le monde oriental, le monde grec et romain, le monde chrétien ; ces divisions qui sont fondées non pas seulement sur les différences des climats, des formes politiques, de la philosophie, mais sur quelque chose de plus vivant, sur la religion, sur les dogmes, sur une certaine conception de Dieu de laquelle est dérivée chacune de ces trois civilisations en particulier.

Pourquoi, en Orient, malgré la différence de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte, pourquoi ces sociétés ne forment-elles qu’une sorte de catholicisme païen dans lequel chaque peuple est une secte ? C’est que pour chacune d’elles le dogme est plus ou moins semblable, que le dieu se confond partout avec la nature, qu’il est tout, absorbe tout, envahit tout ; d’où il arrive que la poésie se confond avec la liturgie. Les poèmes font partie du culte ; les épopées sont des révélations. Dans cette société il n’y a pas de littérature, à proprement parler ; il y a une religion.