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REVUE. — CHRONIQUE.

étendue. Il est impossible de la concilier avec une profonde tranquillité et une sûreté durable. Ajoutez que ce vaste empire embrasse des races, des religions, des langues diverses. S’il en est, parmi ces populations, dont la douceur, la mansuétude, ou, à mieux dire, la servilité, ne laissent rien à craindre, il en est aussi qui, par leurs habitudes belliqueuses, par leur courage, par leur esprit d’indépendance, renouvelleront plus d’une fois ces attaques contre la puissance anglaise, et ne lui permettront pas d’exercer, hors de l’Indoustan, cette domination paisible qu’elle exerce désormais dans le territoire de ses anciennes possessions. Tout cela est vrai, certain, inévitable ; mais il est également vrai que, tant que l’Angleterre ne rencontrera dans l’Inde que des indigènes, la lutte pourra être quelquefois sanglante, difficile : le succès n’en sera pas douteux ; la puissance européenne l’emportera. On peut, ce nous semble, faire de cette proposition une proposition générale, et dire qu’une colonie européenne ne se soustrait guère à la mère patrie que lorsqu’une autre puissance européenne vient directement ou indirectement en aide à la colonie qui s’insurge. Il a fallu les circonstances tout-à-fait extraordinaires qui ont complètement paralysé les forces de l’Espagne, pour que ses colonies de l’Amérique du sud pussent briser le joug de la mère-patrie. Il y a eu en réalité secours indirect.

Un mouvement a éclaté en Portugal. On ne sait, en vérité, quel nom lui donner. Est-ce une révolution, ou une contre-révolution ? ou ne serait-ce, à mieux dire, qu’une intrigue, une manière un peu violente de changer le cabinet ? L’affaire ne paraît pas sérieuse. Cependant elle ne laisse pas d’exciter, par ses apparences contre-révolutionnaires, la sollicitude du gouvernement espagnol. On dit que des troupes espagnoles s’acheminent vers la frontière portugaise.


— La bibliothèque Charpentier vient de s’enrichir des œuvres complètes de M. Alfred de Vigny. On ne peut douter que cette publication ne trouve bon accueil chez les nombreux amis de ce talent délicat et fin. Nous ne reviendrons pas sur des œuvres que nous avons souvent appréciées ; pourtant, à une époque où le sentiment de l’art sérieux tend à s’altérer et à se perdre, il n’est pas inutile peut-être de signaler encore une fois les qualités communes aux productions trop rares de M. de Vigny : l’élévation soutenue de la pensée et la sévère pureté du style. C’est jeudi prochain que l’Académie française doit nommer les successeurs aux siéges laissés vacans par la mort de MM. Frayssinous et Duval. On sait que M. de Vigny est au nombre des candidats pour la succession de l’évêque d’Hermopolis. Il a prévenu l’Académie que dans le cas où il ne serait point nommé au fauteuil de M. Frayssinous, il se reportait candidat pour celui de M. Duval. On s’étonnerait à bon droit qu’une de ces deux successions ne fût point offerte par l’Académie française à l’auteur de Cinq-Mars et de Stello.