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REVUE. — CHRONIQUE.

rêves de ces esprits superficiels qui s’efforcent de mettre à la place de la science leurs folles utopies. Le taux des salaires dépend du rapport de la population ouvrière avec la demande de travail, avec la puissance du capital. On supprimerait demain tout droit sur le blé, que si ce rapport ne s’améliorait pas, s’il y avait toujours beaucoup plus de travail offert que de travail demandé, le dégrèvement, au lieu de profiter aux ouvriers, ne profiterait qu’aux capitalistes. Entourés d’une population affamée et demandant à tout prix un emploi de ses forces, les capitalistes obtiendraient la même quantité de travail pour un salaire inférieur, parce qu’avec ce salaire inférieur le travailleur pourrait se procurer la même quantité de nourriture. On a beau rêver, on n’empêchera jamais les choses de suivre leur cours naturel. Il y a toujours un maître sur le marché. Lorsque le travail surabonde, c’est le capitaliste qui fait la loi ; lorsque le travail est rare, c’est l’ouvrier qui dicte les conditions du contrat. Voyez les colonies où les esclaves ont été émancipés. Quelle est, au fait, la plainte des entrepreneurs, des colons ? Ils se plaignent du haut prix des salaires, parce que la population affranchie, pouvant, dans ces heureux climats, vivre de peu de chose, ne veut accepter le travail qu’autant qu’il est largement rétribué. L’offre de travail est inférieure à la demande ; le travailleur fait la loi : c’est tout simple. Quel est le remède qu’ont imaginé les hommes qui ont été tout de suite au fond de la question, les colons intelligens ? un seul, l’introduction dans les colonies affranchies d’un surcroît de travailleurs qu’ils vont enrôler en Afrique, en Asie, en Amérique, partout où ils trouvent des hommes libres disposés à s’expatrier. Ils ont compris que le jour où l’offre de travail sera proportionnée à la demande, les entrepreneurs ne seront plus à la merci des travailleurs. Ce n’est donc pas dans le prix de telle ou telle denrée qu’il faut chercher la cause intime et première de la misère des classes laborieuses. Le haut prix de ces denrées ajoute sans doute à leur misère ; la baisse du prix la soulage momentanément, et c’est déjà, nous en convenons, un grand bien. Mais si l’équilibre ne s’établit pas entre l’offre et la demande de travail, si la population qui ne vit que de ses bras déborde de toutes parts, le bas prix des denrées n’est plus une garantie suffisante de bien-être. Il ne fait qu’augmenter les bénéfices de quelques producteurs, après avoir servi d’excitation à la population pauvre, après avoir contribué à en augmenter le nombre en multipliant les familles.

Quoi qu’il en soit, la modification des lois des céréales est dans ce moment une mesure utile et populaire. La génération actuelle en éprouvera un soulagement notable. Elle le comprend. Aussi voudrait-elle un changement plus radical que celui que le ministère propose. Le bill de sir Robert Peel a produit dans le pays une certaine agitation. Les assemblées se multiplient, les rassemblemens deviennent de plus en plus nombreux, les manifestations hostiles au bill sont de plus en plus bruyantes. Il n’y a cependant là rien d’alarmant ni de sérieux. On sait que ces démonstrations, quels qu’en soient le bruit et le retentissement, ne sortent guère, en Angleterre, des limites de la