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LETTRES DE CHINE.

devait disparaître ; il n’y avait plus qu’à se réunir pour l’aider à sortir honorablement d’une fâcheuse position.

Il faut considérer la Chine comme un état indépendant. Cet état a-t-il le droit de régler ses affaires intérieures comme il l’entend ? Peut-il permettre ou prohiber l’introduction, par ses ports, de telle ou telle marchandise (je consens à regarder l’opium comme une marchandise ordinaire), et en rendre la prohibition, s’il la juge nécessaire ou convenable, obligatoire par tous les moyens en son pouvoir ? Si les voies de conciliation et de douceur ne produisent pas l’effet désiré, peut-il avoir recours à la force et à la violence ? Y a-t-il, en faveur de l’Angleterre, un droit acquis, soit par un traité, soit par une convention, soit enfin par la prescription et l’usage ? Il me semble que la réponse à toutes ces questions est facile, et, en y répondant comme le demandent toutes nos idées de droit souverain et de droit naturel, on serait tenté d’affirmer sans hésitation que l’Angleterre fait en ce moment à la Chine une guerre injuste et cruelle ; que la Chine n’a eu qu’un seul tort, celui de se départir un instant du système d’exclusion qui fait la base de sa politique. En droit, la guerre que l’Angleterre fait avec la Chine me semble injuste ; l’est-elle également en principe ?

N’y a-t-il pas, dans la destinée des peuples, une force invincible, un sentiment de leur intérêt et de leur conservation qui les fait quelquefois sortir violemment des voies légitimes, et fouler aux pieds tout ce qui est reconnu obligatoire entre nations ? C’est bien un peu le même instinct qui pousse au crime le malheureux qui meurt de faim. Seulement la société sait atteindre et punir l’individu isolé ; mais les grandes fractions de la société elle-même, qui les punira, qui les arrêtera ? Il y a, il est vrai, entre les nations comme un pacte, une convention de respecter leurs droits mutuels ; il y a pour leurs relations tout un code de droit politique, et si l’une d’elles se trouve, comme je l’ai dit tout à l’heure, emportée par la force des circonstances hors des voies adoptées, si ses mouvemens gênent la marche des autres ou rompent ce qu’on est convenu d’appeler l’équilibre politique, chacune des autres nations a bientôt les yeux ouverts sur ses tendances, et elles se réunissent, toutes ou en force suffisante, pour la faire rentrer dans l’ordre établi, ou par la persuasion ou par la contrainte.

Jusqu’ici l’attention des nations qui forment la grande famille européenne ne s’est pas sérieusement tournée vers ce qui se passe dans cette partie de l’Asie si peu connue et cependant si intéressante, parce que la Chine se trouve en dehors des intérêts directs de toutes, l’Angleterre exceptée. Les États-Unis, la Hollande, la France, ont bien quelques relations commerciales avec la Chine ; mais ces relations sont de nouvelle date, ou elles n’ont pas encore acquis une assez grande importance pour que l’interruption puisse agir d’une manière très sensible sur l’économie intérieure de ces divers états. Au moment surtout où des questions vitales ont été agitées en Europe, il n’est pas étonnant qu’on ait regardé, sinon avec dédain, au moins avec une espèce d’indifférence, un évènement dont peu de personnes avaient pu calculer les conséquences et dont l’importance est encore aujourd’hui si peu connue.