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changer de conduite, et de respecter les lois du pays qui leur donne asile, enfin de se livrer en paix à un commerce légal et profitable.

« Mais, ajoute-t-il, si vous vous obstinez dans votre stupidité, si vous n’ouvrez pas les yeux, si vous continuez à céder en esclaves à votre cupidité et à votre avarice, alors ce sera par vos propres actes que vous vous serez placés en dehors de la protection des lois.

« Lorsque le commerce, qui est pour vous une source d’avantages innombrables, sera interrompu, lorsque votre approvisionnement de thé et de rhubarbe cessera, alors les rois de vos contrées s’informeront des causes qui auront amené ce résultat, et alors, oh ! vous, étrangers, si vous échappez à la rigueur de nos lois, vous échapperez difficilement au châtiment des vôtres. »

Tang annonce alors la prochaine arrivée de Lin, et sa détermination d’employer toutes ses forces, tout son pouvoir, pour couper le mal dans sa racine.

« Pourtant, ajoute-t-il, conservant encore un sentiment de compassion pour les hommes venus de loin, il nous est impossible d’attendre patiemment sans vous donner un tendre et énergique avertissement, afin que vous appreniez à vous protéger et à sauver votre vie. (Janvier 1839.) »

Dans un mémoire adressé, à la même époque, à l’empereur par le fameux Keschen, on trouve plusieurs passages très extraordinaires, et un mélange incroyable d’habileté et de naïveté, pour ne pas me servir d’une expression plus forte. Après avoir répété, en partie, les argumens de ses collègues du conseil en faveur de l’abolition du commerce d’opium par tous les moyens possibles, il accuse indirectement les étrangers de donner, en échange des marchandises qu’ils reçoivent de la Chine, des pièces d’argent qui, si on les enveloppe et si on les conserve pendant quelques années sans les toucher, se changent en insectes rongeurs ; leurs coupes d’argent, dit-il, deviennent des plumes. Évidemment, il doit y avoir ici une mauvaise interprétation du texte dans la traduction anglaise que j’ai sous les yeux ; il est impossible qu’un homme comme Keschen puisse dire à son souverain de pareilles absurdités. Pour prouver que les Européens ne peuvent se passer du thé et de la rhubarbe, il prétend que le climat de leur pays est rude et rigoureux, qu’ils se nourrissent journellement de bœuf et de mouton, que leur digestion est très difficile, que leurs intestins sont très resserrés, et qu’ils meurent promptement. C’est pourquoi, dit-il, chaque jour, après leurs repas, ils sont obligés de prendre ces divers ingrédiens afin de sauver leur vie.

Voici un passage remarquable du mémoire de Keschen :

« Il paraît que le ministre de votre majesté, Hwang tseo-tsze, du temple de Hung-loo, a supplié votre majesté, dans un mémoire qu’il lui a adressé, de prendre sur elle de décider, dans sa propre sagesse, cette importante question ; mais votre majesté, plutôt que d’agir sous sa seule responsabilité, a préféré ordonner qu’une enquête fût faite sur les diverses circonstances de cette affaire, et elle a enjoint aux vice-rois et gouverneurs de chaque province de lui transmettre leur opinion dans des mémoires préparés avec soin. »

Le plan de Keschen est de fermer, pendant quelques années, la Chine au