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LETTRES DE CHINE.

D’un autre côté, les employés de la compagnie des Indes chargés de la police de son commerce en Chine, furent naturellement remplacés par des agens tenant directement leurs pouvoirs du gouvernement anglais. Ceux-ci montrèrent sans doute, dans leurs relations avec les autorités locales, plus de sévérité que leurs prédécesseurs. Les formules obligées de la correspondance officielle, auxquelles les agens de la compagnie se soumettaient comme à un usage établi de temps immémorial, leur semblèrent humiliantes pour les délégués d’une grande nation. De là des protestations et des réclamations qui motivèrent, en partie, l’ambassade de lord Napier, ambassade qui, comme on sait, se termina si malheureusement. Cette épreuve aurait dû servir de leçon à l’Angleterre. C’est pourtant alors que commencèrent les démêlés entre l’Angleterre et la Chine. Cette situation violente, qui dura de 1834 à 1839, eut ses temps d’arrêt et ses recrudescences jusqu’au moment où les mesures rigoureuses du commissaire impérial Lin, en rompant tout-à-fait le lien commercial qui unissait les deux nations, amenèrent la crise actuelle.

J’ai toujours pensé que le gouvernement anglais ou ses agens n’avaient pas compris le véritable intérêt de leur pays ; du moins ils semblent avoir pris à tâche, par des mesures inconsidérées, de ruiner leur immense commerce en Chine. Je ne crois pas qu’on puisse admettre que la susceptibilité des autorités anglaises, susceptibilité provoquée, comme je viens de le dire, par le style obligé de la correspondance officielle, fût fondée en raison. C’était une prétention exagérée, à mon avis, que celle de vouloir imposer à un pays comme la Chine d’autres mœurs et d’autres usages, de faire oublier au gouvernement chinois, par une simple lettre ministérielle, toutes ses traditions politiques, voire même ses doctrines religieuses ; car on sait que l’empereur est la divinité médiatrice entre le ciel et la terre, et que les rayons de son autorité divine se reflètent plus ou moins directement sur ses représentans. L’Angleterre avait-elle bonne grace à venir dire aux Chinois : Vous avez des lois qui vous régissent depuis des temps bien plus reculés que notre existence connue ; eh bien ! ces lois ne valent rien : changez-les et prenez les nôtres ? Vous nous méprisez, vous nous regardez comme des barbares, et cependant adoptez nos usages, car les vôtres sont absurdes ! — En vérité, on s’étonne qu’une nation qui avait un commerce annuel de 400 millions avec la Chine, commerce qui payait un grand dixième de son budget, et lui fournissait le thé, article devenu aujourd’hui indispensable chez elle ; on s’étonne qu’une nation dont l’intérêt premier est l’intérêt commercial, puisque cet intérêt fait sa force, ait pu penser un seul instant à compromettre de pareilles relations pour les exigences d’une futile étiquette. On dira peut-être que l’honneur national le commandait. Qu’une telle susceptibilité s’exerce en Europe, aux États-Unis, partout enfin où il y a entre les nations communauté de mœurs, où le droit international est le même, où on connaît la valeur d’une humiliation ou d’une insulte, rien de mieux ; mais en Chine, dans un pays dont la civilisation, le système gouvernemental, les mœurs, les idées, les notions générales et particulières, où tout enfin s’est formé en dehors de ce que