Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/667

Cette page a été validée par deux contributeurs.
657
LETTRES DE CHINE.

étrangers furent surveillées ; partout ils rencontrèrent des espions intéressés à découvrir les infractions aux lois du pays. Les préjugés de la nation chinoise contre les barbares furent entretenus avec soin, et, malgré les relations qui auraient dû naturellement se former entre les étrangers et les Chinois grace à un commerce qui durait depuis plusieurs siècles, l’antipathie de la population n’avait fait qu’augmenter jusqu’au moment où la guerre, portée par les étrangers au sein des villes, est venue changer ces sentimens en haine nationale.

Le gouvernement chinois ne se borna pas à s’armer ainsi contre les envahissemens des étrangers, il voulut leur faire sentir la supériorité qu’il prétendait garder vis-à-vis d’eux. Ainsi un corps de marchands fut institué et chargé exclusivement de la souillure du contact étranger. C’est cette corporation qui eut toute la responsabilité, mais aussi tous les bénéfices du commerce. Les navires étrangers furent obligés, avant d’être admis à vendre et à acheter, d’offrir la garantie d’un haniste, c’est ainsi qu’on appelle ces marchands. Ce haniste devint responsable non-seulement des droits à payer par le navire, mais encore de tous les délits commis par le capitaine et les gens de son équipage. C’était appeler sur les étrangers la surveillance de l’intérêt privé, plus active encore peut-être que celle de l’intérêt gouvernemental.

Toute communication directe avec l’autorité locale fut interdite aux étrangers ; leurs demandes, leurs réclamations, durent passer par les mains des hanistes, qui leur transmettaient les réponses. Cependant, par un sentiment de justice qu’on retrouve souvent dans les actes de l’autorité chinoise, le cas fut prévu où les marchands intermédiaires pourraient devenir partie dans une question litigieuse, et une des portes de Canton fut signalée pour que, le cas échéant, les étrangers y portassent leurs réclamations. Ceux-ci ont usé plusieurs fois de ce privilége ; mais, pour arriver à cette porte, il fallait aller en nombre et armés ; car, soit antipathie de la population, soit mouvement préparé par les hanistes, presque toujours les étrangers étaient poursuivis, sur leur passage, de cris et de menaces. Arrivés à la porte, un officier du vice-roi venait, après plusieurs heures d’attente, prendre leur supplique, et les congédiait. Cette supplique, ainsi que tout document présenté par un étranger à une autorité chinoise, devait être conçue en termes plus que respectueux. Il fallait, pour ainsi dire, adorer d’abord la main qu’on implorait. Probablement, chez les Chinois, ces formules ne sont pas considérées comme humiliantes, de même que nous ne croyons pas nous abaisser en nous disant le très humble et très obéissant serviteur de la personne à qui nous écrivons. Les autorités étrangères furent elles-mêmes soumises à ce cérémonial. Du reste, le gouvernement chinois n’avait jamais consenti à considérer les agens des nations barbares autrement que comme des chefs de marchands, et ce fut là une des causes apparentes qui ont amené la rupture entre la Chine et l’Angleterre. C’est à ces dures conditions que le commerce étranger fut admis en Chine. Il fut, en outre, assujetti à des droits de port et de tonnage très élevés ; car, en s’écartant du système d’exclusion, qui fait la base de leur politique, les Chinois avaient surtout en vue l’intérêt du fisc et celui de leur industrie.