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PEINTRES MODERNES.

tour du chevalet du peintre ou du bureau de l’écrivain ; idée gaie ou triste, rêve de gloire ou pressentiment de mort, elle se mêle à la couleur de l’un, s’attache à la plume de l’autre. De même que dans la peinture historique l’action n’est pas toujours le mouvement, dans la peinture de paysage l’effet lumineux n’est pas toujours la lumière, surtout si on l’achète par des tours de force de clair-obscur, en jetant par exemple la moitié de la composition dans l’ombre pour illuminer l’autre moitié. Bien souvent, qui dit effet dit mensonge, et l’une des qualités caractéristiques de la peinture de M. de Laberge, c’était la sincérité, nous dirons plus, la bonhomie. Ajoutons à cela qu’il tenait pour principe que, pour réussir dans son art et y acquérir une véritable originalité, chaque artiste doit s’appliquer à traiter spécialement un seul genre d’effet. L’excellence de certains peintres, qui, par instinct, ont obéi à des principes analogues, Claude Lorrain dans un genre, Canaletti dans un autre, semble confirmer la vérité de cette assertion. Les paysagistes anglais doivent à l’observation de préceptes semblables l’originalité qui les distingue. Chacun d’eux s’occupe exclusivement d’un effet. L’un peint toute sa vie un soleil couchant, et applique chacune de ses facultés à le traiter avec toute la perfection possible. Cette unité précieuse excluant toute distraction, l’esprit doit nécessairement arriver à un résultat bien supérieur à celui que peut obtenir un artiste séduit par la variété, qui s’attache à la reproduire, et, au lieu de concentrer sa puissance d’invention et d’imitation, la répand par diverses issues.

Quand je lisais autrefois la vie de ces peintres hollandais qui, par amour pour leur art, se condamnaient à une sorte de réclusion absolue, préparant eux-mêmes leurs couleurs dont ils avaient analysé les propriétés réciproques, disposant leurs panneaux de manière à prévenir le retirement du bois, et les couvrant d’apprêts qu’ils croyaient propres à rendre leur peinture inaltérable, transportant enfin leurs ateliers sur des bateaux afin d’éviter la poussière des villes et des chemins, je supposais que, comme d’habitude, le narrateur avait ajouté à la réalité, et fait quelque peu mentir l’histoire pour la plus grande gloire de ses héros. Depuis que j’ai vu M. de Laberge apporter des soins analogues à cette partie matérielle de l’art trop souvent négligée, je ne doute plus ; je regarde ces précautions comme possibles, et je les trouve très naturelles. Appliquées aux choses secondaires, elles sont comme une garantie de la conscience que l’artiste mettra aux parties essentielles de sa composition. Chez M. de Laberge, cette conscience était prodigieuse ; jamais paysagiste hollandais ne s’imposa des lois