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tard son ami, n’avaient pu suffire à l’artiste pour achever deux tableaux. Le carton d’une étude de détail lui prenait plusieurs hivers. Il appelait ses momens perdus ceux qu’il consacrait à l’étude approfondie de la perspective linéaire, qu’il posséda comme savant, et dont aucun problème n’aurait pu l’arrêter, tandis que le commun des artistes se borne à en connaître superficiellement les élémens. M. de Laberge avait également une connaissance consommée de l’histoire de l’art et particulièrement de l’art du paysage. Il apportait dans ses lectures et ses recherches la même conscience et la même volonté que dans ses études pittoresques. Les notes qu’il a recueillies formeraient des volumes et pourraient au besoin jeter de précieuses lumières sur quelques-uns des points les plus obscurs de l’histoire des diverses écoles de peinture qui ont illustré l’Allemagne et la Hollande. M. de Laberge préférait naturellement l’école hollandaise, qu’il ne considérait toutefois que comme une expression fort insuffisante de la nature. Sa conversation était pleine d’intérêt et de charme ; comme tous les hommes profondément convaincus, qu’une seule idée préoccupe, et qui consacrent de longues heures à des travaux solitaires, il passait insensiblement de la causerie au monologue, et, sans qu’il s’en doutât, se mettait à professer avec un entraînement singulier et une véritable éloquence. C’était un de ces hommes complets dans leur genre, avec lesquels on aime à courir les idées, certain que l’on est d’en forcer quelques-unes. Il avait tout ce qui distingue le grand artiste, une ame tendre et exigeante, un goût exclusif, un caractère réfléchi et passionné, et par-dessus tout une ambition immense du succès, mais du succès mérité.

La critique lui a sévèrement reproché ses tâtonnemens excessifs et ses hésitations éternelles ; la critique ne le comprenait pas. Comme d’habitude, au lieu de prendre l’homme tel qu’il était et d’analyser la nature de son talent, elle aurait voulu modifier cette nature et refaire un homme à son image. Le grand artiste ne doit avoir ni parti pris ni ponsif. Il ne trouve pas du premier coup son idée, sa ligne, sa forme ; il la poursuit et la démêle au milieu de vingt autres moins parfaites, qui eussent contenté l’artiste médiocre, satisfait du premier jet ; les grands talens ont presque toujours tâtonné, je le soutiens.

On a également reproché à M. de Laberge de n’avoir pas su rendre la lumière. La plupart de ses tableaux, à l’exception toutefois du petit Soleil couchant qu’il a exposé au dernier salon, sont en effet peu lumineux, mais cela tient plutôt au caractère mélancolique de l’artiste qu’à une impossibilité matérielle. Une idée fixe tourne au-