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voulut la connaître sous toutes ses faces, l’exprimer dans son ensemble ; il résolut donc de s’approprier hardiment les deux méthodes, de les combiner étroitement dans un même système d’exécution à la fois large et précise. Il s’appliqua dès-lors avec une même ardeur à l’étude du détail et du rendu, à celle de l’ensemble et de la masse. Un été qu’il passa sur les côtes de l’Océan, absorbé par ces nouvelles études, opéra une complète révolution dans sa manière ; révolution heureuse en ce qu’elle ne rejetait pas l’artiste d’un excès dans un autre, et que seulement elle ajoutait la précision aux rares qualités qui distinguaient ses premiers essais.

M. de Laberge persévéra dans cette nouvelle voie. Il s’appliqua, avec la rare constance dont il était doué, à reproduire le plus vigoureusement et le plus complètement possible la nature dans ses grands et solides effets de masse et ses prodigieuses richesses de détail. Il voulut qu’un œil heureusement doué pût apercevoir dans ses tableaux tout ce qu’il apercevait dans le monde extérieur, qu’ils fussent bons à examiner et à étudier de près comme de loin ; que, se plaçant à distance, on pût se croire devant la nature, grande, majestueuse, développant de riches masses et de vastes perspectives, et qu’en se rapprochant, les innombrables détails du paysage apparussent reproduits avec une merveilleuse précision et une délicatesse infinie. L’entreprise était hardie ; elle était surtout périlleuse, et nous ne savons trop s’il sera jamais donné à un artiste de la conduire à une heureuse fin. Dans le petit nombre de tableaux que M. de Laberge a laissés, a-t-il du moins fait entrevoir la possibilité d’une prochaine réussite ? Nous serions moins sévère qu’il ne le fut lui-même si nous répondions affirmativement. Mais, si ses efforts ne furent pas couronnés de ce succès incontestable qui établit l’excellence d’un système, ils placèrent, dès son début, le jeune artiste hors ligne, et fixèrent sur lui l’attention des connaisseurs.

Chacun se rappelle la sensation que produisit au salon de 1831 le premier tableau qu’il exposa. Le sujet était des plus simples ; c’était une entrée de ville ; derrière un groupe de maisons couronnées de grands arbres, on apercevait des prairies et une ligne de collines bleuâtres. Une diligence portant la nouvelle de la révolution de juillet, et entourée par la foule, tel était l’épisode qui animait ce tableau. Toutes les qualités et tous les défauts de M. de Laberge se trouvaient dans cet ouvrage, poussés à l’excès, comme il arrive toujours lors d’un début ; l’artiste ayant à cœur de montrer tout ce qu’il sait, et laissant voir involontairement tout ce qu’il ignore.