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roman, Pour ne pas être Treize. Pour ne pas être Treize confirme ce que je disais tout à l’heure de l’insurmontable difficulté qu’éprouve l’auteur des Guêpes à renouveler l’air malsain dans lequel il vit. C’est une églogue au milieu d’une série de pamphlets. Jamais M. Karr n’a moins épargné les peintures de paysages. On sent là un immense besoin des vents du ciel pour les poumons, et pour l’ame des sentimens purs. C’est là un louable effort, mais qui est impuissant. Le signe de cette impuissance est dans l’absence complète d’impressions nouvelles que ce roman indique chez celui qui l’a écrit. Depuis deux ans, M. Karr a usé dans son entreprise toutes les forces aspirantes de son intelligence ; le présent ne lui fournit plus rien ; il lui est revenu du passé des lambeaux de souvenir dont il a essayé de faire une œuvre poétique. Eh bien ! pourtant j’ai encore ressenti quelques instans de plaisir en lisant ce livre, car ces lambeaux de souvenir ont réveillé en moi les émotions qui m’avaient charmé. Ainsi, par exemple, dans les premières pages de ce roman, j’ai retrouvé des sentimens que M. Karr a toujours exprimés avec dignité et avec grace, ceux du courage et de la fierté dans la misère. M. Karr possède ce rare mérite de savoir parler de la pauvreté d’une façon qu’on ne peut accuser ni de bassesse, ni de niaiserie ; la pauvreté qu’il nous montre n’est jamais dégradante ni avilie ; elle est toujours éclairée par les espérances et les sourires de la jeunesse, comme une vieille masure délabrée par les rayons d’un soleil de mai. Plus je retrouvais dans le petit roman de M. Karr les traces de ce talent poétique avec lequel il est né, plus je regrettais la route fatale qu’il a parcourue. Mais ne serait-ce point se laisser égarer par une métaphore, que de le supposer dans un cercle inflexible d’où il lui soit impossible de sortir ? Récemment je visitais un musée d’anatomie, où le spectacle de toutes les maladies humaines était étalé aux yeux. Quelquefois le mal a fait des progrès si effrayans, que les hommes de la science ont assez d’un seul coup d’œil pour s’assurer qu’il n’y a plus aucun remède contre les ravages de cet hôte invisible du corps. Même quand il pourrait être donné à la vue de saisir d’une façon aussi distincte les cas de maladie morale, d’épuisement de l’intelligence ou d’épuisement du cœur, je crois, à la gloire de l’esprit, qu’on ne pourrait pas appliquer à ses plaies cet horrible mot d’incurable, qui s’applique si souvent à celles de la matière. Si nous n’étions pas soutenu par ces convictions, nous n’aborderions pas la critique, car la critique pour nous n’a pas d’autre but que d’effrayer ceux qui sont malades sur leur état. On a distingué des critiques de bien des espèces : il y a la critique de grammairien, la critique de poète, la critique d’ami, la cri-