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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

désordre qu’on s’était flatté de réprimer. Autrement, les partis vous méprisent ou vous broient. Pour combattre en dehors de leurs rangs, il faut se résigner à jouer un rôle inutile, ou se décider à jouer un rôle dangereux. Enfin, lors même qu’on attaquerait quelques principes sur lesquels les hommes varient suivant les points de vue où ils se trouvent placés, il faudrait savoir respecter les sentimens qu’ils partagent tous. Or, je trouve sans cesse dans M. Karr des railleries adressées à une antique religion dont le symbole est un drapeau, à l’amour du pays. Voltaire, qui, certes, s’entendait aussi bien que M. Karr à trouver le ridicule partout où il était, Voltaire a consacré aux vaillans gentilshommes de Fontenoy les plus belles pages qui soient jamais sorties de sa plume. Quand je pense à ces radieuses batailles où la maison rouge faisait des merveilles, j’ai peine à croire que toutes ces bouches, animées d’un si spirituel sourire sous les fines moustaches qui les ombrageaient, aient prononcé des cris sans valeur et des mots vides de sens ; quand je pense aux combats meurtriers des plaines de la Champagne, j’ai peine à croire que toutes ces robustes poitrines, qui s’opposaient nues aux coups des ennemis, n’aient renfermé que des sentimens égoïstes et faux. L’exaltation chevaleresque a été chez M. de Châteaubriand une source intarissable d’éloquence, le sentiment national a fait toute la gloire de Béranger. Si j’insiste sur ces vérités dont la redite peut sembler inutile, c’est que de notre temps quelques esprits ont imaginé de se servir du patriotisme de vaudeville pour tourner le véritable patriotisme en ridicule. Dernièrement un poète, qu’on n’accusera pas d’être un rimeur de lieux communs et un faiseur de couplets, un des écrivains dont le nom, au contraire, écarte le plus toute idée de sentiment banal et de pensée vulgaire, a trouvé, dans un mouvement de colère et d’orgueil patriotique, une inspiration soudaine et brillante :

Nous l’avons eu, votre Rhin allemand.

J’avoue que les odes les plus pompeuses, les strophes les plus splendides, me font moins de plaisir que ce vers. S’il est des hommes qui croient pouvoir se passer du plus noble mobile que nos actions aient jamais eu, quel que soit leur talent, je les plains. Qu’ils soient poètes ou hommes d’état, qu’ils parlent le langage poétique dans toute sa magnificence sonore ou la langue parlementaire dans toute son austère et éloquente simplicité ; qu’ils rappellent, par la gravité de leur extérieur, quelques traits du caractère sérieux de Strafford, où, par la douceur de leur parole et les loyales utopies de leur intelligence, quelques traits de l’humeur aimable de Falkland, qu’ils se