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représentans de cette race turbulente et hautaine qui jugent le public corvéable à merci, lui imposent chaque jour des tailles nouvelles, et fondent sans cesse sur lui à main armée. Les chevaliers qui guettaient les voyageurs du haut de leur château-fort, ne se donnaient guère la peine de distinguer si l’homme qui passait dans le lointain était un abbé trottant doucement sur sa mule, ou un capitaine bardé de fer monté sur son cheval de bataille. C’est encore une ressemblance de plus que M. Karr se trouve avoir avec eux. Certainement il n’a jamais cherché à éviter ceux qui montaient de vaillans coursiers et qui étaient suivis de grosses escortes ; mais, parmi ceux qui ont eu le plus souvent le malheur de le rencontrer au bord des chemins qu’ils étaient obligés de suivre, je pourrais citer bien des docteurs en robes longues, bien des hommes qui s’effraieraient à l’idée de vider une affaire d’honneur autre part que dans la boutique de Barbin.

Peut-être que le public a encore quelques années à se laisser pressurer et bafouer par ces despotes littéraires, comme il se laissait pressurer et bafouer par les seigneurs d’autrefois ; pourtant la phrase de Voltaire nous apprend qu’il y a cent ans que ces abus existent ; ils doivent toucher à leur fin, puisqu’ils sont si vieux. Un jour, cette dernière tyrannie sera détruite comme les autres ; elle différera de toutes les puissances qu’on renverse, en ce qu’elle ne laissera aucun monument de son existence.

À présent, encore un reproche à adresser aux Guêpes, et nous en avons fini avec une critique qui nous est pénible. Le pamphlet de M. Karr affecte une indifférence complète pour toutes les formes de gouvernement ; or, je crois le scepticisme politique incompatible avec la nature du pamphlet. Qu’un poète ne soit d’aucun parti, je le conçois ; qu’il dise des opinions, en se laissant prendre tour à tour à ce qu’il y a de noble et de généreux dans chacune d’elles, ce que Henri Heine dit quelque part des religions : je les ai toutes ; rien de mieux : les poètes ne sont pas des soldats ; aucune nécessité ne les oblige à se mettre dans des rangs. Mais un pamphlétaire combat. Il peut se placer en avant ou sur les flancs d’une armée ; il ne peut pas s’avancer seul. C’est pourtant ce que M. Karr a tenté. Il y a bien long-temps que le chimérique désir de s’élever au-dessus des partis, suivant l’expression consacrée, remplit des intelligences nombreuses, dont quelques-unes sont grandes et fortes, d’une stérile préoccupation. Le seul moyen de s’isoler des partis, c’est de s’éloigner des lieux où se livrent leurs batailles. Tout ce qu’on peut faire en restant au milieu d’eux, c’est de rassembler de nouvelles phalanges qui augmentent le