nature sous les ondes ou dans le gazon : il faut prêter une oreille vigilante au bruit que fait l’humanité vivante dans les villes, et l’humanité morte dans les livres.
Maintenant je conçois un autre genre de pamphlet, d’un ordre tout différent du premier, qui exige encore de l’activité, mais une activité d’une autre nature ; j’entends parler de ce pamphlet frivole et moqueur dont les travers passagers et les ridicules du jour alimentent la malice. Pour celui-là, il faut se condamner à ne plus voir briller la nuit que des candélabres et des lustres, à ne plus saluer la campagne que les jours où il y a des chasses et des courses. On sait que Satan ne dit ses secrets qu’à ceux qui lui ont vendu leur ame ; le monde est comme le tentateur, il ne se révèle à vous que si vous consentez à devenir sa proie. C’est ce qui arriva à presque tous les beaux esprits du XVIIIe siècle, l’époque du roman de mœurs par excellence ; le monde dont ils pénétraient tous les mystères avec un coup d’œil si certain s’était tellement emparé d’eux, que l’air du dehors ne leur arrivait plus. Comme l’a dit M. Villemain avec tant de vérité et de grace, quand on voulait voir la nature, on ouvrait les fenêtres qui donnaient sur les jardins. S’il était un poète à qui une pareille vie dût répugner, c’était certainement M. Karr. Un des sentimens qu’il a le mieux exprimés dans ses romans, c’est cet amer et impatient dédain qu’éprouvait aussi Jean-Jacques pour mille usages blessans et mille conventions puériles qu’on rencontre partout où se réunissent les hommes. Eh bien ! M. Karr a imaginé pourtant d’écrire sur les mœurs de son époque tout aussi bien que Beaumarchais ou Voltaire, et ne croyez pas qu’il se soit borné, comme Montesquieu dans ses Lettres Persanes, à présenter des peintures générales de la société. S’il s’était tenu prudemment dans le vague de quelques observations d’un ordre élevé, l’auteur des Guêpes aurait pu suppléer à l’ignorance des détails par l’intelligence de l’ensemble, mais cela ne suffisait pas à M. Karr. C’est dans ses plus secrètes particularités qu’il a voulu nous faire connaître la vie mondaine, tout en protestant de son mépris pour elle. De là est résultée une chronique des plus étranges. Certes, je trouve qu’il vaut mieux vivre à l’air et avec Dieu seul pour témoin, suivant une belle expression antique, qu’au milieu d’une société qui s’arroge sur vous ou sur laquelle vous vous arrogez le droit de contrôle. Seulement, quand on vit au fond d’une vallée ou au bord de l’Océan, il ne faut pas se mettre à tenir un journal de ce qui se passe dans les ruelles ; car, outre le risque d’écrire un mauvais journal, on court celui de faire perdre à sa retraite toute sa di-