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l’improvisation et le labeur sont loin de s’exclure. Il est bien des têtes à bonnets carrés, bien des fronts jaunis et ridés par les veilles, d’où se sont échappés des essaims de pensées plus bruyantes et plus meurtrières que celles de M. Karr. Je ne veux pour preuves que les fameux pamphlets du XVIe siècle, entre autres ceux d’un docteur dont Heine invoque souvent le glorieux patronage, de Martin Luther lui-même.

C’est à peine s’il est besoin de dire, après avoir cité un pareil nom, qu’entre les mains de l’auteur de Fa Dièze la plume de ceux qui remuent le monde serait aussi déplacée que l’eût été l’épée de Walstein ou de Gustave-Adolphe entre les mains du duc de Richelieu. Les peintres font subir à leurs tableaux une épreuve qui est décisive, en les plaçant devant une glace où se réfléchissent dans une reproduction exagérée toutes les fautes contre la pureté des lignes et contre la correction du dessin ; l’imitation est le miroir dont on peut se servir pour juger des talens originaux. Chez les imitateurs, on trouve cette exagération des défauts que la glace présente à l’œil de l’artiste. Ainsi les opuscules qui ont été créés en si grand nombre à l’image des petits livres de M. Karr montrent tout ce qu’il y a dans les Guêpes d’incomplet et d’impuissant. La disette de vues sérieuses et de réflexions piquantes, le scandaleux abus des noms propres, la stérilité du fond, la vulgarité de la forme, voilà ce que le goût et la conscience du public reprochent à toutes ces publications infimes dont l’examen ne doit trouver place ni dans notre travail ni dans ce recueil. Nous sommes loin de confondre M. Karr, on le pense bien, avec tous les écrivains qui l’ont imité. Fût-il le dernier parmi les poètes, ce titre seul de poète suffirait à le tirer de ces régions où ne s’est jamais égaré le plus mince rayon de poésie ; mais, fût-il le premier du chœur immortel que chaque siècle augmente à peine d’une voix, cela ne le rendrait point plus propre à écrire le pamphlet. Le pamphlet, tel que je l’entends dans le sens le plus élevé et en même temps le plus exact du mot, le pamphlet, qui apporte tout à coup sur une question pendante une solution décisive, qui, dans une discussion religieuse ou dans un débat politique, jette des lumières soudaines sans s’inquiéter des yeux qu’il blesse et de ceux qu’il éblouit, le pamphlet, qui agit d’une façon prompte et efficace sur les choses humaines, n’est pas l’œuvre d’un rêveur, mais l’œuvre de celui qui veille ; il ne naît pas aux rayons de la lune qui dorment sur le lac ou sur la prairie, mais bien aux clartés que la lampe projette sur la feuille où court une plume infatigable ; enfin, pour être pamphlétaire, il ne faut pas prêter une oreille paresseuse au bruit que fait la