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souvenir de lui que son nom donné à une espèce d’œillets et de roses, tous les deux se sont enfoncés au plus épais du tourbillon de l’activité humaine. Lord Byron rêvait des combats dans la patrie de Tyrtée pour occuper cette ardeur belliqueuse que ressentent presque toutes les natures poétiques. Les écrivains dont je parle ont cherché de plus sérieux dangers que ceux qu’on court sur les champs de bataille. Par les blessures du corps, c’est le sang qui s’en va ; par celles de l’ame, c’est cette divine essence qui chez les uns est la vertu, chez les autres la poésie.

Bien loin de regarder le bon sens comme au-dessus ou au-dessous de la poésie, je pense, au contraire, que, chez les poètes comme chez tous les écrivains possibles, c’est la première et la plus indispensable des qualités ; seulement je distingue le bon sens dont on a besoin pour les œuvres d’imagination de celui qu’exige la vie réelle. Henri Heine et M. Karr conservent, au milieu des divagations les plus excentriques de leur pensée, beaucoup de ce premier bon sens, qui régit aussi les descriptions les plus fantastiques d’Hoffmann et les plus humoristiques digressions de Sterne ; mais l’autre bon sens, celui de tout le monde et de tous les jours, leur fait souvent défaut, quoiqu’ils aient la prétention de le posséder aussi : je n’en veux pas d’autre preuve que toutes les pages qu’ils s’amusent à écrire sur tant de sujets arides et frivoles, quand ils pourraient faire de si jolies chansons du mois de mai. Henri Heine et M. Karr ont tous les deux ce précieux sentiment de la nature, qui fait de tous les paysages qu’on parcourt cette forêt enchantée où toutes les fleurs vous regardent et où tous les oiseaux murmurent à vos oreilles des mots mystérieux. Ils ne la comprennent pas à la façon vertueuse et pastorale d’Auguste La Fontaine et de Gessner ; ils l’aiment d’une façon ardente et passionnée. Pour eux, ce n’est pas une mère, c’est une maîtresse. Cependant les rêveries sous les peupliers, les contemplations amoureuses des fleurs, enfin toute cette façon extatique d’entendre la vie, n’étouffent pas chez eux une ardeur juvénile semblable à celle des blonds enfans de l’université de Goettingue. Les fleurets font partie de leur bagage de poète ; ils ont quelque chose de pétulant et de querelleur, qui forme un contraste piquant avec leurs dispositions à la mélancolie. Tout cet ensemble de qualités et d’habitudes, qui rend ces deux hommes deux poètes propres à voyager dans le bleu et à y faire voyager les autres, ne les destinait en aucune façon à la carrière qu’ils ont prise. Leur talent à chanter le printemps est fort inutile à des pamphlétaires, et leur pétulance d’éco-