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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

M. Karr allait jusqu’à chercher la bizarrerie dans les découpures et dans la couleur du papier de son journal. En même temps il transportait dans ses romans ces affectations d’étrangeté destinées à frapper les yeux de la foule. Je me souviens de certains chapitres qui finissent sur un mot inachevé dont la suite est au chapitre suivant. Ce sont là des puérilités qu’on est presque honteux de relever, mais qui servent à bien faire comprendre le goût faux et ambitieux des longues et inopportunes digressions qu’on trouve dans Geneviève et dans Clotilde. L’affectation est à l’originalité ce que la fanfaronnade est au courage ; on ne peut pas affirmer qu’elle doive l’exclure, mais il est certain qu’elle en fait douter.

Je ne veux point parler du roman d’Hortense, qui nous ramènerait au sujet épuisé de la littérature industrielle du feuilleton. Je l’ai dit, la carrière purement littéraire de M. Karr se termine, en 1839, par la publication de Clotilde ; maintenant, avant de le suivre dans la nouvelle période où il est entré, je voudrais revenir encore sur les tendances et sur la nature de son talent.

Je crois qu’avec la fureur des analogies, il n’est pas une seule originalité qu’on laissât debout. Ainsi, de même qu’on pourrait combattre Heine avec Sterne, et opposer le Voyage sentimental aux Reisebilder, de même on pourrait combattre M. Karr avec Heine, et opposer aux fantaisies les plus capricieuses du Fa Dièze les rêveries vagabondes du tambour Legrand. C’est là une guerre que je n’aime pas, car presque toujours on l’entreprend avec témérité et injustice. Il n’est pas de combinaisons d’idées, si bizarres soient-elles, qui ne puissent s’offrir à deux esprits d’une manière presque semblable à la même époque ou à des siècles d’intervalle. Et puis les ressemblances qu’on croit saisir sont trompeuses, car la vanité de celui qui veut les établir lui fait souvent de singulières illusions sur leur exactitude. Je ne contesterai donc pas à M. Karr la qualité que je lui ai reconnue, je ne m’interdirai pas non plus de lui comparer Henri Heine. Seulement je chercherai dans ce parallèle non pas le fait d’une imitation fort incertaine, et qui n’intéresse d’ailleurs que les deux écrivains qu’on met en cause, mais quelques-uns de ces principes généraux dont chacun peut faire l’application.

Henri Heine et M. Karr sont tous les deux des hommes d’imagination qui ont pris pour une vocation de pamphlétaire cet instinct de combativité que la phrénologie reconnaît dans le cerveau des poètes. Après avoir souhaité, l’un qu’on écrivît ces seuls mots sur sa tombe : « Il aima les fleurs de la Brenta ; » l’autre, qu’il ne restât pas d’autre