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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

sentimens eux-mêmes, il faudrait se transporter aux Guêpes. Dieu merci, nous avons encore plus d’un roman à examiner.

Avec de nouveaux personnages, Une Heure trop tard est la suite de Sous les tilleuls. Il n’y a même pas entre ces deux livres la différence qu’on trouve, dans les tableaux de Léopold Robert, entre le ciel des Moissonneurs et le ciel des Marais Pontins. Le même foyer de lumière jette sur le paysage les mêmes clartés et les mêmes ombres, le même foyer d’amour jette sur les visages les mêmes expressions de joie ou de mélancolie. C’est toujours une scène qui peut se passer dans le rayon de l’université de Goettingue. Il y a partout le même mélange d’humeur vaillante et d’humeur rêveuse. Pour être nourri, comme Stephen, de la lecture d’Uhland, de Berger et de Novalis, Maurice n’est pas moins fort que lui sur les règles du comment, cette bible belliqueuse des enfans de Thor qui fait vivre au sein des universités de la Germanie l’esprit guerrier de ses vieilles forêts. En un mot, c’est toujours un livre jeune avec la préoccupation généreuse du duel et l’amour sentimental des fleurs.

Mais, si les qualités sont communes à ces deux livres, les défauts aussi leur sont communs. Une Heure trop tard, ainsi que Sous les tilleuls, présente des digressions en grand nombre, où quelques traits d’une verve heureuse sont perdus au milieu d’une profusion de plaisanteries banales, réminiscences déjà plus lointaines, quoique toujours obstinées, de la première profession de l’auteur. Les situations et les caractères y sont compris souvent avec autant de vivacité et d’intelligence que dans les œuvres de l’ordre le plus élevé ; le style manque toujours. Il existait chez M. Karr le sentiment d’une poétique raillerie qui, dans un petit monde à part, entre le chevalet, les pots de fleurs, le clavecin, les fleurets et les grandes pipes, aurait pu s’exercer d’une façon charmante sur tous les sujets sérieux et frivoles que soulève dans son cours capricieux une conversation d’artistes. Peut-être aurait-il répandu ça et là, sur des questions abordées par hasard, quelques-unes des lueurs philosophiques dont le sourire de maître Kreissler éclairait bien des choses ; mais il fallait qu’il comprît dans quel espace il devait toujours se renfermer. Le grillon ne doit pas faire entendre ses chants hors de l’âtre où les enfans et les rêveurs cherchent des mirages et des harmonies.

L’originalité est le meilleur bouclier dont un poète puisse se servir pour défendre ses œuvres. Telle tragédie dont les fondemens occupent cinq grands actes de superficie s’écroulera vers par vers quand chacun viendra reprendre la pensée ou l’expression qu’on lui