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le pamphlet les a d’abord frappés dans leur forme extérieure, c’est-à-dire dans leur langage, puis il a fini par les altérer dans leur essence. Quelques vers de Virgile retenus des leçons du collége, quelques notions élémentaires de science, voilà d’ordinaire quel est le bagage de tous ceux qui débutent dans la vie littéraire. Est-ce dans ces souvenirs à demi effacés que l’écrivain trouvera la matière dont il a besoin pour tisser le vêtement que sa pensée réclame ? Non, ce vêtement rare et précieux qu’on appelle le style se tisse lentement et avec de patiens efforts. Sa trame, comme celle des étoffes merveilleuses que préparent les fées, se compose de mille rayons divers tirés de tous les objets lumineux de la nature. Je ne sais aucune étude qui ne puisse servir au style, celle des arts, celle des sciences, celle des langues. Certainement il y aurait folie à vouloir exiger de l’écrivain le travail que toutes ces études supposent, mais je crois qu’on peut sans injustice demander à sa jeunesse un travail qui est incompatible avec le métier de journaliste. Encore si les occupations auxquelles se livrait M. Karr eussent agi d’une façon négative sur sa manière d’écrire ; mais elles ont fait plus, elles l’ont gâtée. Ainsi, dans le roman qui nous inspire ces réflexions, une expression empruntée à la langue intempérante du Figaro arrive sans cesse là où il aurait fallu un mot puisé dans un langage expansif, mais contenu.

La grandeur manque aux instans où elle est le plus impérieusement réclamée par le sujet. Lorsque arrive ce moment fatal de l’invocation à la débauche qui dans les drames passionnés du cœur est presque toujours marqué par des notes éclatantes, comme l’appel au démon dans les tragédies musicales ; quand Stephen, après avoir joué le rôle de Claude Frollo dans une scène où la Esmeralda était sa maîtresse et Phoebus son ami, se décide à demander aux joies effrénées du plaisir la guérison ou la mort de son ame, on s’attend à toutes ces splendides descriptions du vice qui peuvent jeter de si belles lueurs dans la poésie et dans le roman ; c’est le moment de faire entendre, comme dans la Confession d’un enfant du siècle, toutes les fanfares de l’orgie, interrompues çà et là par la vibration profonde de quelques accords douloureux qui s’échappent d’une ame repentante ou combattue. Mais, pour produire ces effets de grandiose harmonie, il aurait fallu se servir de l’instrument sonore dont M. de Musset dispose. M. Karr a pris celui qu’il avait sous sa main, l’instrument à la voix perçante et fêlée de ses charivaris quotidiens. Maintenant, pour voir la funeste influence du pamphlet passer du langage dans les