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entre le public et lui un interminable tête-à-tête, que ces réflexions prendront place. En ce moment, nous sommes à ses débuts, débuts dont nous ne recherchons pas les secrètes angoisses, mais que nous jugeons par les faits qui sont à la connaissance de tous. M. Gustave Planche, avec cet impitoyable esprit qui le portait à faire pénétrer partout, chez les vivans et chez les morts, une lumière cruelle, sans se soucier des voiles dont la poésie comme la charité aime à couvrir certaines fautes, M. Planche nous a appris quel commencement avait eu la carrière de ce Chatterton dont M. de Vigny a mis le nom sur le piédestal d’une statue mélancolique et grandiose, qui offre avec le poète anglais une vague ressemblance. Chatterton ne prêtait aux moines des vieilles abbayes la savante éloquence de sa poésie saxonne qu’après avoir infligé le matin au ministre en place sa correction quotidienne. Il se faisait dans son cerveau un profane et continuel mélange des voix calmes du passé et des bruits querelleurs du jour. M. Karr a vécu de cette existence pendant plusieurs années, les dernières de la restauration et les premières de la révolution de juillet. Tout en gardant au fond de son cœur quelques nobles élans et quelques précieuses larmes, il répandait tous les trésors d’une verve de vingt ans dans ces écrits hardis, cyniques et moqueurs, où l’esprit lui-même est étouffé par la licence du langage. L’auteur futur de Fa Dièze était un journaliste du Figaro. Et cependant un beau jour cette vie de dissipation vint à perdre la seule excuse qui pût la justifier. M. Karr sembla délivré de la servitude des débuts. Il fit un ouvrage qui eut du succès et qui méritait d’en avoir. En 1833, il publia son premier roman : Sous les Tilleuls.

On prétend que ce livre avait d’abord été écrit en vers. Je suis assez disposé à le croire. Le langage des vers est le langage de la jeunesse tout comme celui du vieil Olympe, et le roman de Sous les Tilleuls est essentiellement un livre de jeunesse. On y sent cette fièvre du cœur dont on se guérit plus tard en avalant tant de potions amères. Les sources de la tristesse et de la gaieté y sont abondantes et fraîches. Le soleil de mai et les regards de jeunes filles y luisent sans cesse ; il est certaines pages d’où s’exhalent de vraies senteurs de printemps. Qui n’a pas erré, quand ce ne serait que par la pensée, en l’apercevant du fond d’une voiture de voyage, auprès d’une maison blanche qui fuyait, dans l’allée touffue des tilleuls ! Qui n’a point placé sous ces voûtes vertes et parfumées quelques mystérieuses scènes d’amour comme celles qui se jouent à toute heure au fond d’une ame de vingt ans ! Dans ce premier livre de M. Karr, on