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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

de chaume, le regard distrait de la vache, la physionomie joyeuse de l’hôtellerie, il consacrerait toute la fraîcheur de son coloris, toute la vigueur de son dessin à des caricatures grossières, toujours inachevées. Destiné non pas à faire entendre dans un livre les mugissemens d’un fleuve ou le tumulte d’une ville, mais à ajouter quelques pages entraînantes à l’histoire des sentimens intimes et des rêveries de notre cœur, il consacrerait tout ce qu’il y a en lui de grave, de chaleur, de vivacité, de caprice, à augmenter par ses divagations quotidiennes ce nombre déjà si effrayant de phrases frivoles et babillardes que les hommes des petits journaux répandent sur le public comme les nains malfaisans de la vieille Allemagne répandent des poignées de mauvais grains dans les granges pleines d’épis. Ce gaspillage sans frein, cette prodigalité insensée, ce serait la première partie de sa vie. Grace à tant de concessions cruelles, il verrait venir des jours meilleurs, et il se souviendrait de la poésie, sa première compagne, qui l’avait quitté, comme le bon ange du chrétien quitte l’ame qu’elle surveille, à la porte des lieux où elle ne pourrait pas entrer sans souiller ses ailes ; il s’en souviendrait, il la rappellerait, et elle reviendrait à lui : c’est alors que commencerait dans son existence cette action fatale qui est la même pour tous les débauchés, quelle qu’ait été la nature de leur débauche. Les filles de son imagination ressembleraient toutes sans exception à ces belles courtisanes qui ont des joues d’enfant, des cheveux de fée, et, dans le coin des lèvres ou dans le fond des yeux, un signe hideux, trace ineffaçable de leur métier. Lui-même il ressemblerait à l’homme qui a chassé avec le diable ou dansé avec les lutins. Le feu a beau jeter dans le foyer ses lueurs réjouissantes, le livre favori a beau lui sourire à la clarté amicale de la lampe, toute la sécurité domestique, toute la tranquillité intérieure, ont beau l’envelopper tout entier d’un doux et poétique bien-être : si l’heure de la chasse infernale ou de la ronde du sabbat vient à sonner, il regrette les sentiers perdus qu’il suivait derrière la meute haletante, il regrette les marais fangeux où des pieds fourchus se mêlaient aux siens dans des tournoiemens rapides. Aussi il y a encore quelquefois des nuits pendant lesquelles il s’absente, et il arrive un instant où les séductions qui l’ont entraîné jadis reprennent sur son imagination tant d’empire, qu’il abandonne de nouveau pour elles toutes les calmes et honnêtes jouissances de son toit. C’est ce simple et terrible drame qui remplirait la seconde partie de mon histoire. Mon héros subirait dans ses œuvres la peine de ses anciens excès ; cette sagesse de conception, cette vigueur de pensée, cette netteté de langage, enfin toutes ces