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LE ROYAUME DE NAPLES.

120 millions de francs, et qui entretient sur pied de paix une armée de quarante à cinquante mille hommes. On voit qu’il peut prétendre à l’un des premiers rangs parmi les états secondaires de l’Europe. En retranchant la Sicile, et en effet la Sicile doit être mise à part sous tous les rapports, comme je le montrerai plus tard, les états de terre ferme ont à eux seuls une population de plus de 6 millions d’ames, et paient sans effort un budget de plus de 100 millions. Cette situation, qui contraste si fort avec toute leur histoire, est due à une réorganisation à peu près complète que le reste de l’Europe paraît à peine soupçonner. Je vais passer en revue les faits principaux qui se rattachent à cette réorganisation. Les chiffres que je citerai à l’appui de mes observations sont aussi authentiques qu’ils peuvent l’être quand il s’agit d’un pays où il n’y a pas de publicité. Les uns ont été recueillis par moi sur les lieux même, les autres sont empruntés à l’excellent ouvrage publié en 1839 à Florence par M. le colonel Serristori sur la statistique de l’Italie, et au volume non moins curieux que M. Fulchiron vient de publier sur le royaume de Naples. Si ces chiffres ne sont pas d’une exactitude mathématique, ils sont au moins très approximatifs, et cela suffit.

Voyons d’abord quel est l’état actuel des trois anciens élémens de la société napolitaine, la noblesse, le clergé et le peuple. Forcés par les lois nouvelles de mettre leurs biens en liquidation, les nobles n’ont plus, pour la plupart, cette magnifique apparence de fortune que donnait aux anciennes familles la permanence entre leurs mains des propriétés les plus grevées de charges de tout genre. Ils n’ont pas conservé davantage cet esprit turbulent et dominateur qui avait rendu célèbres au moyen-âge les barons napolitains, et qui n’a pas été une des moindres causes de la désorganisation constante du pays. Franchement soumis à la législation commune, ils en acceptent tous les devoirs, et ne sont distingués des autres citoyens que par l’éclat qui s’attache à leurs noms. Les titres de ducs et de princes abondent parmi eux ; c’est un reste de l’ancienne manie nobiliaire, ce n’est pas un signe de domination réelle. Quelques-uns remplissent auprès du roi des charges de cour, ce qui ne leur donne pas plus d’ascendant qu’à d’autres sur la marche du gouvernement. Un grand nombre tient à honneur de professer des opinions libérales. Ceux-là forment une société aussi remarquable par l’intelligente urbanité des manières que par l’absence de tout préjugé. À la grace ouverte de leur accueil, à l’indépendance de leur langage, on se croirait au milieu de nos meilleurs salons français, ceux où la bonne vieille politesse s’unit