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juridictions et des impositions antiques. Les nouveaux codes français, promulgués sous le roi Joseph et maintenus presque dans leur entier par le roi Ferdinand, ont substitué la précision de leurs dispositions et l’esprit vraiment humain de leurs principes à l’inextricable labyrinthe des lois grecques, lombardes, normandes, impériales, angevines, espagnoles, autrichiennes, ecclésiastiques, dont l’incertitude n’était pas le plus grand défaut, et qui ne consacraient pour la plupart que l’injustice et la violence.

Tant qu’a vécu le vieux roi Ferdinand, et même tant qu’a duré le règne de son fils, qui avait été témoin, lui aussi, des luttes de la révolution contre la monarchie, le progrès naturel qui devait être la conséquence de cette rénovation sociale a marché lentement. Il n’a pris un essor marqué que depuis l’avénement du roi actuel, en 1830. Ferdinand II a fait preuve à la fois de générosité et d’habileté. Son aïeul et son père n’avaient accepté qu’avec défiance les faits accomplis ; en même temps qu’ils reconnaissaient la nécessité, ils entretenaient autour d’eux les vieux abus, et persécutaient les partisans des idées nouvelles. Le roi actuel a compris, au contraire, comme Charles III, que l’autorité royale ne pouvait désormais que gagner en s’assimilant l’esprit civilisateur de la société moderne. Venu après l’ère des bouleversemens, il a rétabli l’ancienne harmonie entre les deux ennemis qui ont lutté si long-temps sans que l’un des deux ait pu abattre l’autre. En brisant toutes les classes, en détruisant tous les priviléges, la révolution a travaillé à Naples pour le pouvoir absolu, et le pouvoir absolu ne craint pas à son tour de montrer quelque bienveillance pour la révolution. Tous deux se sont rencontrés face à face sur les débris du pouvoir féodal, et ils se sont donné la main.

Naples est donc une société égalitaire comme la nôtre, gouvernée par le prince le plus absolu qu’il y ait peut-être en Europe. Voilà son originalité actuelle. Un tel état de choses peut-il durer toujours, et la liberté civile ne doit-elle pas conduire tôt ou tard à la liberté politique ? C’est ce que je ne voudrais ni affirmer ni nier. Tout ce que je sais, c’est que pour le moment il n’en est pas question. L’expérience a prouvé que l’agitation naturelle au Napolitain le rendait peu propre à l’exercice de la liberté. Les peuples méridionaux ont besoin d’un plus long noviciat que les autres pour arriver à se gouverner eux-mêmes, d’abord parce que la servitude y est plus ancienne et y a été plus pesante que partout ailleurs, ensuite parce que la mobilité de leurs sentimens et l’activité de leurs imaginations les portent trop vite