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LE ROYAUME DE NAPLES.

grant délit. Il en est résulté que le vol ne se pratique plus à Naples avec cette hardiesse originale qui donnait une si grande réputation à la rue de Tolède dans les romans espagnols ; mais le Napolitain a un tel goût naturel pour le bien d’autrui, qu’il n’a pu s’en guérir tout-à-fait : les filous, poursuivis et traqués de toutes parts, se sont rabattus sur les mouchoirs qui leur sont en quelque sorte abandonnés jusqu’à nouvel ordre par la tolérance du gouvernement, et ils exploitent avec acharnement cette proie, la seule qui leur soit encore permise. En attendant, les attaques nocturnes ont déjà cessé presque complètement, grace aux mesures énergiques qui ont été prises, et on peut espérer que, dans quelques années, si la décadence continue, un étranger pourra rentrer chez lui avec son mouchoir dans sa poche, après s’être promené dans Naples, ce qui est sans exemple dans ce moment-ci.

Quand les voleurs auront disparu comme les lazzaroni, on pourra dire que l’ancienne cité aura définitivement fait place à la nouvelle. Regrette qui voudra ce que la physionomie de Naples empruntait d’original et de caractéristique à sa population vagabonde et à l’absence de toute police. Pour moi, je ne puis croire que le spectacle de la dégradation humaine soit absolument nécessaire pour amuser l’oisif en voyage, et je ne sais pas en quoi l’ordre et la prospérité peuvent être incompatibles avec le plaisir que donne l’aspect d’un pays nouveau. Sans doute on y perd ces singularités grossières qui sautent aux yeux du premier abord et qui constituent pour les moins clairvoyans des différences tranchées entre les peuples ; mais si cette extrême diversité ne peut être acquise qu’aux dépens de ceux qui la donnent, elle a moins de valeur pour moi. Je ne crois pas d’ailleurs que les originalités nationales perdent beaucoup, au fond, dans le progrès des améliorations communes ; l’apparence seule devient uniforme, c’est à l’observateur à retrouver sous la ressemblance la variété réelle. Cette variété ne s’éteint jamais ; elle se transforme, elle se raffine, mais elle ne peut périr, parce qu’elle tient à la nature même du sol et du climat, à la distinction des faces et des origines. L’intérêt qu’elle excite n’en est que plus vif quand il faut la rechercher, la deviner en quelque sorte, et elle joint à son attrait naturel tout le charme d’une conquête, quand on la force à se découvrir, toujours vivante et indélébile, sous le vêtement qu’elle avait emprunté.

Naples sera toujours Naples, c’est-à-dire le pays d’Europe où la vie est le plus facile, le ciel le plus affable, le plaisir le plus naturel. Je ne vois pas que les mille pêcheurs de sa baie soient moins pitto-