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Du Bartas n’a garde non plus d’oublier le panache blanc qui ombrage la salade du roi ; mais cette salade manque, par malheur, son effet, et l’accent détonne. Assez de détails. Qu’il nous suffise, en tout ceci, d’achever de bien définir le rôle et la destinée du poète : Du Bartas est le représentant du mouvement religieux calviniste et monarchique, comme Ronsard avait été celui de la renaissance païenne, comme Malherbe fut celui du régime d’ordre et de restauration. Ronsard représentait la poésie en cour sous les Valois ; Du Bartas la représenta en province, sous Henri de Navarre aspirant au trône et guerroyant, en ces années où le Béarnais arpentait son royaume et usait, disait-on, plus de bottes que de souliers. Malherbe arrive après la paix faite et après la messe entendue : c’est le poète d’Henri IV installé en sa bonne ville de Paris et sur son Pont-Neuf.

Entre Malherbe et Du Bartas, il y a le succès de la Satyre ménippée, c’est-à-dire l’œuvre de ces bons citoyens, bourgeois de Paris, royalistes et assez peu dévots. Si Du Bartas avait vécu, il se serait trouvé comme un poète de l’émigration, c’est-à-dire dépassé et primé par les derniers venus et par ceux du dedans.

Ce fut le cas de D’Aubigné qui alla porter à Genève ses haines et ses rancunes, et dont les œuvres poétiques et autres éclatèrent tardivement au lendemain de la mort d’Henri IV, comme des représailles plus ou moins piquantes, mais déjà surannées.

Desportes était trop vieux, et il avait été trop récemment compromis dans la Ligue, pour retrouver à la nouvelle cour le crédit dont il avait joui sous Henri III ; mais Bertaut, plus jeune, surtout plus prudent, se trouva précisément en mesure pour profiter avec honneur des dernières années de répit que Malherbe accordait à l’ancienne école. Bertaut, sage, tiède, élégant, me semble le modèle des poètes ralliés, et il a une certaine teinte monarchique et religieuse, qui en fait un parfait ornement de restauration. Il semble qu’à voir de loin la plume calviniste de Du Bartas se consacrer aux choses morales et saintes, Bertaut se soit dit de bonne heure qu’il était peu séant à des abbés catholiques de rester si profanes, et qu’il ait travaillé dès-lors à ranger doucement sa muse au pas de la conversion nouvelle. Du Bartas a bien pu avoir cette action indirecte sur lui.

Mais, chose remarquable ! on ne voit pas que, durant les dernières années du règne d’Henri IV, l’influence et l’autorité de Du Bartas soient le moins du monde présentes au centre. Cette espèce de démembrement, ou d’embranchement imprévu qu’il avait fait à l’école de Ronsard, n’a guère de suite ; il peut encore partager les provinces ;