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réimprimer, principalement sa première Semaine, qui avoit été reçue avec tant d’applaudissement[1]. Ce fut ce qu’il confirma plusieurs fois à De Thou pendant les trois jours qu’il les accompagna ; ce qu’on remarque exprès, afin que les critiques, comme il s’en trouve toujours, sachent qu’il n’ignoroit pas qu’il y eût des fautes dans son poème, mais qu’il étoit dans le dessein de les corriger par l’avis de ses amis. Sa mort ne lui permit ni de voir la fin de nos malheureuses guerres, ni de mettre la dernière main à ce merveilleux ouvrage ».

Je tire de ces paroles de De Thou la confirmation de plusieurs de nos inductions précédentes. On voit combien ce judicieux ami tient à l’excuser, mais il en sent le besoin à quelques égards ; il est sur la défensive. Du Bartas lui-même, qui lui exprima plusieurs fois son regret durant ces trois jours, savait où était le côté faible, le côté provincial et le plus attaqué de son œuvre ; dans sa candeur, il ne craignait pas de le laisser voir ; ce qui lui avait manqué, même de son temps, c’était Paris.

De Thou, au livre XCIX de son Histoire, à l’année 1590, époque de la mort de Du Bartas, revient avec détail sur lui, et complète son éloge, en réitérant toutefois les mêmes excuses : « … Il mérita, dit-il, d’être regardé par bien des gens comme tenant en ce genre la première place après Ronsard. Je sais que quelques critiques trouvent son style trop figuré, ampoulé et rempli de gasconnades (stylum ejus tanquam nimis crebro figuratum, tumidum, et vasconice ampullatum, critici quidam reprehendunt). Pour moi qui ai connu sa candeur, et qui l’ai souvent entretenu familièrement, tandis que, du temps des guerres civiles, je voyageois en Guyenne avec lui, je puis affirmer que je n’ai jamais rien remarqué de semblable dans ses manières. » Ainsi, par une sorte de contradiction qui n’est pas rare, ce poète, peu simple dans ses vers, redevenait très naturel dans la vie. Il avait des goûts purs, honnêtes, débonnaires ; je l’ai comparé ailleurs à l’auteur de la Pétréïde, à Thomas. Bon père de famille, resté veuf avec deux garçons, il trouve moyen de nous informer de ses affaires et de ses embarras de ménage en quelque prologue de sa seconde Semaine, entre son Adam et son Noé. Ce fameux capitaine Du Bartas, avec sa sainte muse en bottes à l’écuyère, était de près bonhomme, sans éperons, sans panache, et tout-à-fait modeste.

Il mourut un an après la visite de De Thou : « Comme il servoit actuellement, continue celui-ci, à la tête d’une cornette de cava-

  1. Ceci dénote incidemment que la seconde avait moins réussi.