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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

notre langue soit, il y a déjà vingt ans, parvenue au comble de sa perfection ; ains, au contraire, je crois qu’elle ne fait que sortir presque de son enfance. » Il a donc tâché de parer, par voie d’emprunt ou de fabrication, à la disette[1] ; il paraît s’applaudir beaucoup d’avoir aiguisé la signification de certains mots et représenté la chose plus au vif, en répétant la première syllabe, par exemple : pé-pétiller, ba-battre, au lieu de pétiller tout simplement, et de battre. Ce sont des mots à entrechats. Ainsi encore le flo-flottant Nérée, au lieu de flottant ; et dans son épisode très admiré d’Arion, au moment où celui-ci tombe à la mer :

Il gagne du Dauphin la ba-branlante échine !

Quant à la composition des épithètes, l’auteur invoque l’exemple de la langue grecque et de l’allemande : « Ah ! s’écrie-t-il, que les Italiens, qui plaident avec nous le prix de l’éloquence, voudroient que notre langue se passât de ce riche parement duquel la leur ne se peut accommoder avec grace. Quoi ? voulons-nous céder aux Alle-

    >souvenus. Le singulier personnage, Des Marests de Saint-Sorlin, qui a voulu, en son temps, restaurer aussi la poésie chrétienne, et qui, avec son poème héroïque de Clovis, est, plus qu’il ne s’en doute, de la postérité de Du Bartas, a cru faire merveille d’exprimer en ces termes le galop de la princesse Yoland et de ses deux compagnes :

    Elle part aussitôt, le cheval talonnant,
    Qui du fer, pas à pas, bat le champ résonnant ;
    Les deux autres suivans en ardeur le secondent :
    Les échos des vallons en cadence répondent.

    Des Marests (dans sa Comparaison de la Langue et de la Poésie françoise avec la grecque et la latine) préfère de beaucoup ces quatre vers de lui au vers unique de Virgile ; il blâme les mots quadrupedante putrem comme forcés et faux ; il traduit putrem par pourri, au lieu de poudreux ; dans sa propre version au contraire, il trouve, dit-il, tout ensemble et le bon son et le bon sens. Il est joli, le bon son !

  1. Ceci va directement contre la prétention de l’école de Ronsard ; l’un des jeunes adeptes, Jacques Tahureau, dans le premier feu de l’enthousiasme, s’était écrié : « …… Jamais langue n’exprima mieux les conceptions de l’esprit que fait la nôtre, jamais langue n’eut les termes plus propres que nous en avons en françois, et dirai davantage que jamais la langue grecque ni latine ne furent si riches ni si abondantes en mots qu’est la nôtre, ce qui se pourrait prouver par dix mille choses inventées… » (Oraison de Jacques Tahureau au Roi (Henri II) sur la grandeur de son règne et l’excellence de la langue françoise, Paris, 1555). Sans s’exprimer si merveilleusement que leur jeune ami, qui ne voyait au début par toute la France qu’une infinité d’Homères, de Virgiles et de Ménandres, les poètes de la Pléiade étaient intéressés à être d’un avis si flatteur.