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sent visitée avant l’impression, le parti calviniste s’en empara, la commenta, la traduisit, la répandit et la fit réimprimer à foison par toutes les villes de France et d’Allemagne où la réforme était maîtresse ; ce poème en parut comme le trophée. Du Bartas, grace à cette circonstance, devint peut-être l’exemple, le type le plus curieux, en aucun temps, de la gloire poétique immense en province et à l’étranger.

En moins de quatre ou cinq années, cette Semaine fut imprimée plus de vingt fois, dit Colletet, en toutes sortes de marges et de caractères. Le fameux ministre de Genève, Simon Goulart, de Senlis, s’en fit aussitôt le commentateur, comme pour un Lycophron : c’est son travail qui est demeuré attaché aux éditions ordinaires. Pantaléon Thévenin, de Lorraine, renchérissant sur Goulart, composa d’autres commentaires très scientifiques publiés en 1581 ; la création servait aisément de prétexte à encyclopédie. Dès 1579, Jean Édouard Du Monin, poète philosophe, espèce de savant allégorique et burlesque, avait traduit le poème en vers latins[1]. Gabriel de Lerm, en 1583, en donnait une autre traduction latine, et, dans la dédicace adressée à la reine d’Angleterre, il disait de l’auteur original, au milieu d’éloges fabuleux : « Les pilastres et frontispices des boutiques allemandes, polaques, espagnoles, se sont enorgueillis de son nom joint avec ces divins héros, Platon, Homère, Virgile… » Le succès de la Semaine remettait en mémoire aux savans l’Œuvre des Six Jours, poème grec sur le même sujet, par George Pisides, diacre byzantin du VIIe siècle : Frédéric Morel le traduisit en vers latins iambiques, et le publia à la fin de 1584. Comme lecture analogue, je me permettrai d’indiquer encore une manière de commentaire indirect, qui serait assurément le plus cher aux gens de goût, l’Explication de l’Ouvrage des Six Jours de Duguet[2].

  1. Sous ce titre : Joannis Edoardi Du Monin Burgundionis Gyani (de Gy en Franche-Comté) Beresithias (c’est le mot hébreu) sive Mundi Creatio… Ce bizarre Du Monin a dû faire cette traduction en quelques mois. Henri IV l’appelait, par plaisanterie, le poète des chevau-légers ; on ne pouvait dire la même chose de Du Bartas.
  2. Il semble que le succès chrétien de Du Bartas ait piqué d’honneur les catholiques, et qu’ils aient voulu prouver qu’eux aussi ils avaient nombre de pièces de vers religieuses et morales. J’ai sous les yeux un volume intitulé la Muse chrétienne, ou recueil des poésies chrétiennes tirées des principaux poètes français, publié à Paris en 1582. L’éditeur dit en son avant-propos qu’il n’a tiré son choix que des œuvres des six premiers et plus excellens poètes que la France ait encore portés, trois desquels, ajoute-t-il, sont encore vivans (Ronsard, Baïf et Desportes), et trois morts (Du Bellay, Jodelle et Belleau) ; il n’est pas question de Du Bartas,