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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.


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Ils ont menti, Dorat ; c’est une invention
Qui part, à mon avis, de trop d’ambition ;
J’aurois menti moi-même en le faisant paroître.

Francus en rougiroit ; et les neuf belles Sœurs,
Qui trempèrent mes vers dans leurs graves douceurs,
Pour un de leurs enfans ne me voudroient connoître.

Et à la suite de ce sonnet, dont Guillaume Colletet possédait le manuscrit original, Ronsard avait ajouté de sa main ces six vers, qui exprimaient visiblement son opinion littéraire, assez conforme à celle de Du Perron :

Je n’aime point ces vers qui rampent sur la terre,
Ni ces vers ampoulés dont le rude tonnerre
S’envole outre les airs : les uns font mal au cœur
Des liseurs dégoûtés, les autres leur font peur :
Ni trop haut, ni trop bas, c’est le souverain style ;
Tel fut celui d’Homère et celui de Virgile.

Que vous en semble ? voilà du bon goût exemplaire. Rien n’est capable d’en donner aux poètes novateurs déjà sur le retour, comme de voir des rivaux survenans outrer leurs défauts et réussir. Ce n’est qu’en littérature qu’on ne dit pas : Mes petits sont mignons.

Mais ceci répond toutefois à ceux qui n’ont jamais daigné distinguer Du Bartas de Ronsard, et qui continuent de les accoler. Du Bartas, venu le dernier, et le plus en vue à certains égards, a fait payer à toute l’école de son devancier les frais de sa pesanteur et de ses mots forgés ; on a imputé à tous ce qui revenait principalement à lui. Je lui en veux de cette disgrace. Il a obstrué long-temps le retour de la critique à cette jolie poésie des règnes de Henri II et de Henri III, à cette poésie qui naquit et fleurit sous l’invocation des deux gracieuses princesses, Marguerite de Savoie, l’idéal platonique de Du Bellay, et Marguerite de Navarre, aimée plus au sérieux de Desportes ; car c’était bien de celui-ci, et non du puritain, qu’elle était la vraie marraine[1].

Quoique la Semaine de Du Bartas n’eût rien de particulièrement calviniste, et que les docteurs de la Faculté de théologie de Paris l’eus-

  1. Les trois Marguerites du XVIe siècle se pourraient ainsi désigner et distinguer littérairement par les noms de leurs poètes, la Marguerite de Marot, la Marguerite de Du Bellay, et la Marguerite de Desportes.