D’autres encore que Du Perron le savaient bien. À la suite de la Vie de Du Bartas, par Guillaume Colletet[1], on lit une note très curieuse de Colletet fils, le poète crotté : « Jean Baudouin, écrit-il, dont le nom a été si connu dans l’empire des lettres, et duquel nous avons de si fidèles traductions, m’a dit autrefois que Ronsard, qui étoit fort adroit à jouer à la paume, et qui ne passoit guère de semaine sans gagner partie aux plus grands de la cour, étant un jour au jeu de l’Aigle dans notre faubourg Saint-Marcel, quelqu’un apporta la Semaine de Du Bartas, et qu’oyant dire que c’étoit un livre nouveau, il fut curieux, bien qu’engagé dans un jeu d’importance, de le voir et de l’ouvrir, et qu’aussitôt qu’il eut lu les vingt ou trente premiers vers, ravi de ce début si noble et si pompeux, il laissa tomber sa raquette, et oubliant sa partie, il s’écria : « Oh ! que n’ai-je fait ce poème ! Il est temps que Ronsard descende du Parnasse et cède la place à Du Bartas, que le Ciel a fait naître un si grand poète. » Guillaume Colletet, mon père, m’a souvent assuré de la même chose ; cependant je m’étonne qu’il ait omis cette particularité dans la vie qu’il a écrite… » Guillaume Colletet raconte en effet deux ou trois autres particularités plutôt contraires. Mais rien de plus naturel à concilier. Au moment où la Semaine parut, Ronsard, âgé de cinquante-cinq ans, et généreux comme un monarque établi, put tenir, dans le jeu de paume de l’Aigle, le propos mémorable que les témoins n’oublièrent pas. J’aimerais même à croire que les vers qu’il lut ainsi à livre ouvert et qu’il admira ne furent point ceux du début, du premier chant, assez peu nobles en effet, mais bien plutôt ce commencement du septième jour, les mêmes que Goethe admira depuis. Quoi qu’il en soit, son second mouvement ne tarda pas à corriger, à rétracter le premier ; quand il vit que cette gloire de Du Bartas devenait sérieuse, il y regarda à deux fois et proclama ses réserves. Comme son propos courait, qu’on lui prêtait même encore d’avoir envoyé à son rival une plume d’or en s’avouant vaincu, et d’avoir dit que Du Bartas avait plus fait en une semaine que Ronsard en toute sa vie, il lança un sonnet plein de fierté pour y répondre :
Ils ont menti, Dorat, ceux qui le veulent dire,
Que Ronsard, dont la Muse a contenté les Rois,
Soit moins que Le Bartas, et qu’il ait, par sa voix,
Rendu ce témoignage ennemi de sa Lyre.
- ↑ Déjà citée (Bibliothèque du Louvre). J’en use perpétuellement.