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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

en sa double qualité de catholique et de poète galant, pouvait être un peu piqué au jeu dans le succès de Du Bartas, on ne saurait refuser à l’élégant et à l’éloquent cardinal, au disciple le plus poli de Ronsard et à l’introducteur de Malherbe, d’être un juge très compétent de la bonne élocution en usage alors. J’ouvre le premier chant, le premier jour de la Semaine : qu’y vois-je, dès le début, et un peu après les Postillons d’Éole ? Il s’agit de répondre aux profanes qui demandent ce que faisait Dieu en son éternité avant d’avoir créé le monde :

Quoi ? le preux Scipion pourra dire à bon droit
Qu’il n’est jamais moins seul, que quand seul il se voit ;
Et Dieu ne pourra point (ô ciel, quelle manie !)
Vivre qu’en loup-garou, s’il vit sans compagnie !

Un peu plus loin, Moïse est un grand Duc. À propos du désordre et du chaos des quatre élémens, l’Archer du tonnerre, grand maréchal de camp, c’est-à-dire Dieu, ne leur avait pas encore donné quartier à chacun ; le monde serait resté à jamais confus, si la parole souveraine

M’eût comme siringué dedans ces membres morts
Je ne sais quel esprit qui meut tout ce grand corps.

Voilà, ce me semble, Du Perron justifié quand il parle de ces vilaines et sales métaphores qu’affectionne Du Bartas. Celui-ci n’eut jamais ce tact, ce sentiment du ridicule qu’il faut avoir en français, même quand on écrit dans le genre sérieux ; il ne l’avait pas plus que ce que j’appelle le léger de la muse.

On a raconté qu’un essaim d’abeilles, s’étant venu loger dans un endroit de la muraille à son château du Bartas, n’en sortit jamais, et ne cessa point tous les ans de produire du miel. On y vit un présage, et on ne manqua pas d’en faire des vers français et latins sur tous les tons :

Non etenim sine mente deûm, sine numine quodam
Huc vestrum, aligeræ, casus adegit iter

Rien pourtant de plus mal placé que ces abeilles ; Du Bartas, en ses vers, n’en a pas une, tandis que bien d’autres de son temps, et même des secondaires, en pourraient offrir ; Gilles Durant, Passerat, Vauquelin de la Fresnaye, que sais-je encore ? mais non pas lui. Il a du souffle, de l’haleine, des poussées de grandeur, une certaine fertilité grasse, tout ce qui se peut à toute force rencontrer en Béotie, jamais l’abeille.