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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

plus tard on vit réussir, même parmi les dames, le Nouveau Testament de Mons.

C’était à peu près le moment où D’Aubigné, forcé de garder le lit pour quelque blessure (1577), dictait les premières stances de ses Tragiques ; si elles avaient paru alors, Du Bartas en partie était devancé, ou du moins il y avait balance dans le même camp ; mais la publication n’en eut lieu que bien plus tard. C’était le moment encore où paraissait (coïncidence singulière !) la première édition des Essais de Montaigne, ce compatriote et voisin bien différent. La Semaine de l’un, les Essais de l’autre, ne pouvaient se faire concurrence ; ces deux produits de Gascogne se suivirent à un an d’intervalle (1579-1580), et obtinrent, chacun à leur manière, un succès de vogue. Il y a eu de tout temps des mets à la fois pour tous les goûts.

On ne peut nier que la Semaine ne justifiât ce premier enthousiasme par un certain air de grandeur, par des tirades éloquentes, et aussi par la nouveauté bien réelle du genre. La poésie dévote du moyen-âge était dès long-temps oubliée ; la Renaissance avait tout envahi ; les seuls protestans en étaient encore aux maigres psaumes de Marot. Voici venir un poète ardent et docte, qui célèbre l’œuvre de Dieu, qui raconte la sagesse de l’Éternel, et qui déroule d’après Moïse la suite et les beautés de la cosmogonie hébraïque et chrétienne. Ce que Parménide, Empédocle, Lucrèce et Ovide lui-même, ont tenté chez les anciens, il l’ose à son tour, et en des détails scientifiques non moindres ; mais toute cette physique se relève d’un sentiment moral animé, d’une teinte biblique et parfois prophétique qui passe comme l’éclair à travers les élémens. J’en pourrais citer plus d’un exemple, la menace de la fin du monde dans la première journée, ou à la fin de la quatrième cette image vraiment belle et artistement exprimée de Josué arrêtant le soleil. Le malheur de Du Bartas est qu’il gâte cette élévation naturelle de ses pensées, cette noblesse de ses descriptions, par des traits burlesques, par des expressions déplacées et de mauvais goût (même pour son temps), dont il ne sentait pas le léger ridicule : nous verrons des railleurs le relever. Il nous parle tout d’un coup, à propos de sa Gascogne, des monts ENFARINÉS d’une neige éternelle. Dans sa physique des élémens, au second jour, il met en jeu l’Antipéristase pour expliquer le duel du chaud et du froid[1]. Sa noblesse en un mot pèche tour à

  1. Antipéristase, en bon français, ne veut dire autre chose que concentration.