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renommée de Du Bartas, parut en 1579[1] ou plutôt 1578. Les guerres de religion s’étaient ranimées, mais avec intermittences, de 1576 à 1580. Henri de Navarre, se dérobant de la cour de France où on le gardait presque à vue, avait regagné sa Gascogne et convié aux armes ses fidèles serviteurs. Du Bartas fut un de ceux-là. Lui qui, plus jeune, en 1574, se vantait par un sonnet de ne suivre le barreau ni le train guerrier, et de passer oisivement sa vie en son manoir de Bartas, il avait dû à son tour endosser la cuirasse et ceindre le baudrier. On le voit, dans une préface de 1579, se plaindre de sa destinée et de la calamité de son siècle, qui l’ont appelé à une autre profession que celle des lettres. Calviniste comme D’Aubigné, mais moins satyrique et moins amer, il se contenta, sans se prendre aux personnes, de travailler et de faire valoir un fonds sérieux. Tandis que des abbés, bons catholiques, ne chantaient qu’amourettes et agréables lascivetés, tandis que la cour et les mignons fredonnaient sur tous les tons : Ô Nuit, jalouse Nuit, ou bien Rozette, pour un peu d’absence, voilà un séculier et un soudard qui entonne là-bas le los divin, et qui se fait, en vers sonores, prédicateur des choses saintes. De nos jours, nous avons vu M. de Lamartine se trouver au début le poète de ce qu’on appelait la réaction catholique et religieuse, comme Béranger était celui de l’opinion frondeuse et libérale. Eh ! bien, talent à part, le succès de la Semaine de Du Bartas s’explique de même : il se trouva par là en un instant le poète, non-pas seulement de l’opinion calviniste (il n’a rien qui sente particulièrement le sectaire), mais de l’opinion religieuse grave, de la croyance chrétienne, si fervente alors dans toute une classe de la société. Son œuvre, à peine lancée, fut portée dans le grand courant. Les quatre ou cinq années de trêve dont on jouit depuis ce qu’on appelait la Conférence de Fleix jusqu’à la grande guerre de la Ligue (1580-1585), firent suffisamment d’espace pour une publicité immense. On peut dire qu’indépendamment presque du mérite poétique plus ou moins distingué, la Semaine, venue à point, réussit par son sujet comme l’eût fait la Bible traduite en français, comme

  1. À Paris, chez Jean Février, in-4o. Le privilége du roi est de février 1578, ce qui semble indiquer que c’est bien réellement dans le courant de l’année que le livre parut. Colletet, dans sa Vie manuscrite de Du Bartas (Bibliothèque du Louvre), donne cette date inexactement, et Goujet l’élude. Je ne le fais remarquer que pour demander grace moi-même de tant de petites inadvertances en pareille matière, où il a pu m’arriver de tomber.