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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

on lit en tête une dédicace à Madame Marguerite reine de Navarre, qu’il s’est donnée, dit-il, pour marraine : choix très naturel de la part d’un sujet, mais qui ne laisse pas d’être piquant chez un poète si religieux : on croirait, s’il était malin, qu’il fait une épigramme. Le poème de Judith, ajoute-t-il, lui fut commandé, il y a environ quatorze ans, par la feue reine Jeanne, et il prend à témoin plusieurs gens d’honneur qui lui ont entendu réciter de ces vers, il y a plus de douze ans. Tout ceci tend à nous le représenter en pleine verve dès 1565, et il déclare d’ailleurs, dans sa pièce d’Uranie, que l’amour du docte laurier n’attendit pas en lui l’avril de son âge.

Le caractère propre de sa vocation ne fut pas douteux un instant : Du Bartas, du premier jour, se posa comme un poète religieux. Ronsard et son école toute païenne régnaient alors. Notre nouveau venu, au moins par le fond de l’inspiration, s’en détache : il évoque Uranie, la muse des célestes et graves accords ; elle lui apparaît et l’endoctrine. Au moment où Desportes (1573) effémine la lyre et où toutes les jeunes voix répètent ses chansons, Du Bartas renfle l’accent et proteste contre les mignardises. C’est à la Bible qu’il se prend, c’est aux sujets sacrés qu’il demande une moralité élevée et salutaire. Il mérita en effet cet éloge qu’on lui décerna depuis dans une épitaphe latine : « Qui Musas ereptas profanæ lasciviæ sacris montibus reddidit ; sacris fontibus aspersit ; sacris cantibus intonuit ; il fut le premier qui, délivrant les Muses de ces profanes folâtreries dont elles étaient comme perdues, les rendit à leurs saintes montagnes, les replongea en leurs saintes fontaines, et ne leur fit ouïr que de pures et divines chansons. »

Par malheur, les vers ne répondent pas tout-à-fait à l’intention. Les stances de son Uranie manquent tout d’abord à la loi de l’entrelacement des rimes féminines et masculines. On y sent je ne sais quoi d’incorrect et d’arriéré en rudesse, si on la compare aux jolis couplets de la même date qui se modulaient à la cour des Valois. Nous sommes à Nérac, à Montfort en Armagnac. La Judith est une narration assez soutenue, en six chants, et où se remue par accès un certain souffle héroïque, sans aucun idéal pourtant. Du Bartas gagnera beaucoup avec les années ; mais, en obtenant le mérite, il n’aura jamais la grace, — la grace, ce don qui est comme l’amour, qui vient on ne sait pourquoi, qui se pose où il lui plaît, qui va combler le libertin ou le volage, et qui fuit l’honnête et le laborieux qui le pourchasse. C’est une capricieuse et une femme, que la Muse.

La Semaine ou Création du Monde, qui, répandit avec éclat la