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phie assez délicate à relever ; à moins d’extrême attention, on court risque de confondre. Le détroit est en effet prolongé, fort sinueux et tournant ; il y a de faux aspects de perspective. Bertaut peut sembler plus voisin de Malherbe qu’il ne l’est réellement. Du Bartas se peut rapprocher de la suite de Ronsard plus qu’il ne conviendrait.

Je parlerai aujourd’hui de Du Bartas. Il ne m’a jamais paru un bon poète, et je ne viens pas lui faire réparation à ce titre. Il ne faudrait pas croire, en vertu de l’impartialité et de l’intelligence historique appliquées à la littérature, que la poésie est quelque chose de relatif, que ce qui a été véritablement bien et beau dans un temps, cesse de l’être, et que, dans les réhabilitations à faire des poètes, il n’y ait pas quelques règles fixes et toujours présentes à observer. Un poète, qui n’a atteint au beau ou au gracieux que par momens, a pu s’égarer et céder au mauvais goût de son temps dans le gros de ses œuvres ; on retrouve du moins en lui des traces brillantes de ce que son talent, mieux entouré, aurait su produire. Mais, s’il ne se découvre pas de telles traces bien nettes, bien détachées et bien distinctes chez le poète, je commence à craindre qu’il n’eût jamais été véritablement fin et distingué. Or, Du Bartas, le Père Le Moyne et Thomas me paraissent tous trois dans ce cas. L’élévation et d’assez hautes qualités ne manquent certes pas à leur veine ; mais ils sont pesans et auraient de tout temps mérité de commander dans la grosse cavalerie des pégases.

Nul poète pourtant n’a peut-être eu, de son vivant et après sa mort, plus de renom, en son pays et à l’étranger, que Du Bartas. Il a été le chantre et le représentant d’un grand mouvement des esprits à la date où il est venu. Il s’agit de bien établir et d’expliquer son importance.

Guillaume de Saluste, seigneur Du Bartas, d’une famille noble, fils d’un trésorier de France, naquit vers 1544, non pas tout-à-fait au Bartas, mais, comme Goujet l’a montré, à quelques lieues de là, en la petite ville de Montfort, non loin d’Auch, au cœur de la Gascogne. Rien d’étonnant si ses phrases sentirent toujours un peu ce que lui-même appelle son naturel ramage. Ses premières années se passèrent dans les lieux de sa naissance, et furent employées à l’étude, aux lettres, à la poésie. Il composa des vers presque au sortir de l’enfance. Son premier recueil, intitulé la Muse chrétienne, parut à Bordeaux en 1574 ; dans une édition de 1579, que j’ai sous les yeux[1],

  1. Paris, chez Gabriel Buon (in-4o).