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dont elle se plaint, bien que tel soit le terme vers lequel elle marcherait à pas trop rapides, si d’autres causes ne la retenaient et ne la relevaient, s’il n’y avait dans l’homme une raison pratique qui se joue des systèmes. Les préoccupations politiques, l’amour naturel de l’ordre et du travail, l’excellente constitution civile de la France, l’équité et la liberté qui président aux relations de la famille et de l’individu, et par-dessus tout cette noble nature humaine que le sophisme ne peut suborner tout entière, sauvent notre pays de l’empire absolu des fausses doctrines, ou plutôt de l’effet désastreux de la nullité des doctrines et des croyances. Il faut voir le mal et hardiment le signaler, mais non pas croire qu’il domine tout et va tout détruire ; il ne faut pas, comme tant de gens aujourd’hui, désespérer à chaque instant du monde, et recommencer incessamment l’oraison funèbre de la société.

Ce qui manque à une société dont les croyances ont fui, ce sont des principes. La science des principes en toutes choses, c’est, il faut bien me passer encore le mot, la philosophie. Est-ce à dire qu’on doive faire de la nation française une société de philosophes ? D’Alembert ou Condorcet n’auraient pas hésité à répondre : oui. Nous dirons, nous, que lorsque tous les hommes qui réfléchissent s’accordent dans une certaine manière de penser sur les grandes questions de la nature et de la destinée, il en transpire quelque chose dans la littérature et dans l’éducation, et qu’ainsi l’esprit des générations se modifie. Elles entendent la leçon sans être entrées dans l’école. La pensée du livre vient à elles sans qu’elles aient lu le livre. Cette pensée, dans sa pureté et sa généralité intellectuelles, est nécessairement une pensée philosophique. Celle que nous voudrions voir devenir la régulatrice secrète des opinions devrait, en maintenant les esprits dans l’affranchissement du joug des conventions ou des traditions factices, régler leur liberté et leur essor, leur apprendre qu’il y a en eux autre chose que des facultés actives, puissances neutres, et qui n’ont en elles-mêmes ni leur règle ni leur but, mais qu’en regard de ces forces il y a des principes immuables, un type absolu, auquel les facultés se rapportent et s’assujettissent par l’ordre de la raison. La raison est plus qu’un flambeau ; un flambeau n’est précieux que par les choses qu’il éclaire. Or c’est la vérité qui brille éclairée par la raison ; la raison illumine ainsi tout homme venant au monde. C’est la vérité qui mérite la recherche et la science, l’amour et la foi. Vous n’auriez appris aux hommes qu’une chose d’elle, à savoir qu’elle existe, le service serait déjà grand ; car vous les auriez arrachés au principe du scepticisme, et par là une pre-