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LA PHILOSOPHIE DANS SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ.

dences qui en séparent les autres systèmes dont elle a été le signal, on peut en général rattacher au saint-simonisme toutes les théories de réforme sociale qui se retrouvent aujourd’hui par lambeaux dans un grand nombre d’écrivains. Les distinguer et les compter pour les apprécier l’une après l’autre serait l’objet d’un travail curieux peut-être, mais déplacé en ce moment. Il nous suffit de remarquer qu’elles sont toutes, comme le saint-simonisme proprement dit, des doctrines historiques plutôt que philosophiques. Leur point de départ à toutes est une vue générale de l’histoire des nations, élevée à la conception d’une histoire de l’humanité, et dominée par une seule idée, la perfectibilité. Ce fait de la perfectibilité, principe de la nouvelle science historique, se manifeste et se développe suivant certaines lois qui ne sont autres que les caractères plus ou moins bien observés des différentes époques. De ce que l’humanité a été, on conclut facilement qu’elle devait être ce qu’elle a été ; c’est à peu près là toute la philosophie de l’histoire. Puis on fait un pas de plus, et de ce qui fut et de ce qui est on déduit ce qui doit être. C’est ainsi que du passé on infère l’avenir ; tout ce dogmatisme tant annoncé se réduit à quelques conjectures logiques ; et voilà, comme la réalité peut conduire à l’hypothèse et le fait engendrer l’utopie.

Au fond, toutes les doctrines de socialisme sont essentiellement critiques. Malgré des prétentions contraires, la première de toutes, le saint-simonisme, est critique. Il a montré dans l’histoire de toute société deux époques déjà souvent observées, celle où les hommes sont unis dans une croyance commune, celle où les hommes se divisent sous l’empire d’opinions opposées. Il a appelé l’une organique et l’autre critique ; il y a long-temps que les théologiens avaient distingué l’âge de l’autorité de l’âge de l’examen. Or, chaque époque critique doit aboutir à une époque organique. Entre l’une et l’autre, la différence est celle de la recherche à la découverte, de l’effort au succès, de la marche au but, de la poursuite de la vérité à la possession de la vérité. Mais, par la loi de la perfectibilité, rien n’est, en quelque sorte, que provisoirement définitif. Avec le temps, l’organisme d’une époque devient insuffisant, suranné, impuissant, et un nouveau criticisme conduit à un organisme nouveau. Quand l’esprit d’examen s’élève, il présage la foi.

Quel est le caractère de notre époque ? Sans contredit elle est critique. De quelle époque organique est-elle grosse, pour parler comme Leibnitz ? La réponse à cette question diffère un peu selon les sectes ; mais généralement elle se rapproche beaucoup de cette for-