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LA PHILOSOPHIE DANS SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ.

semblables à ces guerriers sans cause et sans patrie, qui engagent leur bras à la solde d’un drapeau qui n’a ni leur foi ni leur amour. On sait que des mercenaires peuvent se conduire en héros.

Mais n’est-il pas et plus juste et plus sensé de mettre d’accord tous les bons principes de notre nature, de concilier les convictions et les vertus, les intérêts et les droits, les calculs et les croyances ? Pourquoi les factions seules paraîtraient-elles avoir des doctrines ? Pourquoi les défenseurs de la bonne cause et des vrais principes n’auraient-ils seuls ni cause ni principes, et verraient-ils leurs nobles actions attribuées à l’inconséquence, ou imputées à l’énergie de l’égoïsme ? Une telle dissonance n’est pas naturelle ; et certainement, mieux étudiée, mieux cherchée, la sympathie du bien avec le bien, la concordance du bon, du vrai et de l’utile, doit apparaître à la raison satisfaite. Or, cette satisfaction de la raison, où la trouver, hormis dans la recherche d’une philosophie politique qui s’élève au-dessus des vues partielles, des intérêts accidentels, des passions transitoires, et qui établisse quelque chose de réel, de général, de durable, c’est-à-dire quelque chose d’absolu dans le sens favorable et légitime de l’expression, en un mot une vérité ? Toute vérité stable s’enchaîne aux vérités premières. Toute philosophie politique tient donc de près à la philosophie proprement dite. Celle-ci, qui nous montre l’homme pourvu de facultés et de vérités, comme un soldat qui a tout à la fois ses armes et ses étendards, qui doit combattre et obéir, oser et craindre, aimer également le péril et la discipline, la philosophie, dis-je, qui nous montre l’homme libre sous la loi de sa raison, affranchi par elle, et par elle contenu et gouverné, ne sert-elle pas d’exemple et de base à la philosophie politique qui constitue la société à l’image de l’homme, et la veut libre aussi sous la loi de la raison ? Le type de tout gouvernement réside dans le gouvernement intérieur de l’ame humaine.

Je ne sais si ce langage est pour déplaire aux factions contemporaines ; mais telles ont été leurs illusions et leurs fautes, qu’elles ont réussi non-seulement à désabuser d’elles, mais encore à dégoûter de la politique beaucoup d’esprits élevés auxquels la fermeté manque, et que préoccupe le besoin chimérique d’un perfectionnement supérieur à ce que nous ont valu nos révolutions. Le public a été plus d’une fois entretenu, dans ces dernières années, de ces tentatives de doctrines sociales qu’on a voulu substituer aux symboles surannés des partis. Si aucune de ces doctrines n’a triomphé, toutes, en se retirant, en se dissipant comme un phénomène sans réalité, ont laissé après elles des traces, une lueur, une fumée ; toutes ont légué