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Justifions cette idée en l’appliquant à l’état de la société française, et en recherchant ce que la philosophie peut faire pour elle.

Dès le premier coup d’œil, on remarque, et les moins clairvoyans signalent eux-mêmes la préoccupation politique qui agite notre société. Puis, derrière les partis qui la divisent, on lui reconnaît un fonds d’opinions vagues et diverses sur elle-même et sur sa destinée. En dehors même de la politique, elle s’est mise, depuis quelques années surtout, à s’inquiéter de son sort, à s’enquérir de son avenir, à se demander enfin si elle avait bien les conditions de l’existence et de la durée. De là mille systèmes, ou plutôt mille avortemens de systèmes, qui se donnent pour des doctrines sociales, et qui ne tendent à rien moins qu’à refaire d’ensemble et méthodiquement la religion, l’art, l’économie politique, la morale, et, bien entendu, la législation et le gouvernement. Enfin, à côté de ce que les esprits inquiets pensent ou imaginent, restent les mœurs de la société, les idées et les conventions qui président à ces mœurs, tout ce qui règle enfin les démarches et les relations des individus et des familles. Observons rapidement, et du point de vue de la philosophie, les idées politiques, les idées sociales, les idées morales de la France contemporaine.

Quoi que les passions aient fait, quoi que prétendent le découragement et la timidité, la politique est l’honneur de la France. C’est par ses luttes intérieures qu’elle attire et qu’elle mérite l’attention de l’Europe. C’est à son école que les nations doivent apprendre à se mesurer tantôt contre le pouvoir, tantôt contre les factions, à vaincre leurs ennemis de toutes sortes, à se vaincre elles-mêmes dans la bonne fortune, à se modérer dans la victoire.

Notre temps manque de grands hommes, et l’humanité est accoutumée à ne reconnaître la gloire que lorsqu’elle se personnifie. Il lui faut, pour admirer, voir son propre type réalisé, pour ainsi dire, et agrandi tout ensemble dans un de ces individus d’élite qui enorgueillissent notre nature. Certes, le sentiment qu’ils inspirent est juste, et ce n’est pas nous qui voudrions contester au cœur humain un seul de ses respects. Cependant il faut bien convenir qu’il y aurait quelque chose de subalterne dans cette manie de s’incliner devant un seul, dans cette admiration exclusive, dans cette aveugle préférence accordée à l’individu sur les masses, à la vertu d’un jour sur les travaux d’une époque. Il est romanesque d’exiger de l’histoire, pour en être ému, qu’elle ait un héros, et de porter au spectacle des choses réelles les besoins critiques que nous portons au théâtre. Le monde